Il y a toujours deux côtés à une médaille, voire trois, si l’on peut dire. Voici donc l’opinion d’un employé de l’industrie des jeux vidéo qui m’écrit une lettre fort bien tournée sur les impacts positifs intangibles de l’industrie à Montréal1.

La lettre fait suite à ma chronique critique à l’égard des subventions que reçoit l’industrie, publiée mardi. J’y expliquais que, selon une étude, les entreprises de l’industrie font un gain net de 174 millions par année avec les subventions du gouvernement du Québec, après paiement de leurs impôts et charges sociales.

Sur les 200 entreprises, 15 filiales étrangères touchent 75 % des subventions, dans une période où il y a pourtant une pénurie de main-d’œuvre, notamment en informatique.

« Bonjour, M. Vailles. Travaillant moi-même dans l’industrie, je ne sais pas si les subventions sont rentables, mais je peux ajouter certains éléments pour alimenter votre réflexion.

« J’ai travaillé plusieurs années sur Rainbow Six Siege, et le jeu est devenu le plus joué de l’histoire d’Ubisoft. On a bâti notre équipe presque de zéro. Dans l’équipe de programmation du moteur, on retrouvait un Danois, un Italien, un Australien, beaucoup de Français, des Marocains, et j’en passe.

« Ces gens arrivent à Montréal avec une certaine expérience déjà, souvent avec des enfants en bas âge. Ils ont été formés dans d’autres pays, et nous offrent ensuite les périodes les plus productives de leurs carrières, leurs études financées par les pays d’où ils viennent. On a peu d’Américains d’ailleurs, leurs dettes d’études les poussant à rester aux salaires plus élevés aux États-Unis. »

« L’absence de crédits d’impôt ne signifie pas seulement que quelqu’un comme moi pourrait quitter le Québec et payer ses impôts ailleurs, mais aussi que ces gens-là ne seraient jamais venus ici et ne paieraient pas d’impôts ici. »

« J’en ai vu certains démarrer des trucs ici aussi. Quand j’étais jeune, on parlait de l’exode des cerveaux, de nos médecins qui quittaient le Québec. Là on en importe.

« Cette réalité n’est pas spécifique à un projet ou à une entreprise. WB Games Montréal, qui fait un Batman, Eidos Montréal qui fait renaître Deus Ex, Ubi Montréal et toutes ses marques, ça attire du monde de partout sur la planète.

« Par exemple, quand le studio qui avait fait le jeu L.A. Noire a fermé ses portes en Australie, il y a une dizaine d’années, Ubi Montréal, plus grand studio au monde, devenait une place de choix, et en a profité.

« Autre point : les programmeurs ne sont pas l’essentiel des employés de l’industrie du jeu vidéo, même si on est au cœur. Les modeleurs, les animateurs, les concepteurs de niveau et tous les autres dans la création de contenu sont l’essentiel, à des salaires bien plus bas que les programmeurs.

« Avec un plafond au crédit d’impôt, ce sont eux qui reçoivent la plus grande partie de leur salaire venant des subventions. Je ne pense pas que ces professions sont si demandées à l’extérieur du jeu [ils gagnent donc davantage et paient plus d’impôts dans l’industrie du jeu vidéo qu’ailleurs].

« Évidemment, ces artistes pourraient combler des besoins dans d’autres domaines, mais allez leur dire ça… »

« C’est d’ailleurs un aspect mal compris de l’industrie. Les universitaires sont en gros les programmeurs et des gestionnaires. Il y a deux mondes, un de logique et un créatif, qui travaillent ensemble. Ce n’est pas du tout comme une boîte informatique. »

« Des salaires qui explosent »

« Vous citiez une moyenne de salaire dans votre chronique [73 953 $ à Montréal pour un programmeur de jeux vidéo]. Avec un plafond par employé, et des professions très distinctes, la moyenne donne un aperçu plutôt imparfait ici. Pour vous donner une idée, la moyenne que vous avez citée est plus basse que le salaire de programmeurs qui sortent de l’université !

« Assassin’s Creed, Far Cry, Watch Dogs… Ubisoft Montréal est devenue le plus grand studio au monde en misant sur plusieurs mondes ouverts immenses, qui demandent beaucoup de gens dans la création de contenu, bien plus que le genre de jeux qu’on fait aux États-Unis. C’est donc très particulier, on peut dire que les jeux eux-mêmes ont été influencés par les subventions.

« Et la situation est encore très changeante. Avec l’arrivée de nouveaux joueurs en ville comme Tencent, Amazon et Epic, les salaires des programmeurs ont explosé et ce n’est pas encore clair si les studios déjà présents vont survivre à ça. Mais c’est un autre sujet. »

1. J’ai légèrement reformulé certains passages et inséré dans le texte certains ajouts venant des échanges de courriels que j’ai eus avec l’auteur.