On savait que notre industrie des jeux vidéo, surtout constituée de filiales étrangères, était gavée de subventions, mais on ne savait pas vraiment à quel point.

Une étude publiée lundi dresse le portrait financier de ce secteur chouchou des gouvernements du Québec depuis 25 ans. Et constate qu’en fin de compte, les bonbons fiscaux qu’on leur accorde dépassent – et de loin – tous les impôts et charges sociales qu’elles sont tenues de payer au Québec.

L’étude a été réalisée par Michaël Robert-Angers et Luc Godbout, de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Les auteurs ont obtenu des données plus fines sur l’industrie, ses marges de profits et ses salaires.

Globalement, l’ensemble des 200 entreprises du secteur ont touché 340 millions de dollars de subventions du gouvernement du Québec en 2022. La subvention prend la forme d’un crédit qui peut atteindre 37,5 % des salaires admissibles, jusqu’à concurrence de 37 500 $.

Si ces entreprises finissaient par payer des impôts nets, tout compte fait, on conclurait à un pacte possiblement avantageux. Mais les subventions sont telles qu’elles dépassent même le versement des charges sociales.

En 2019, par exemple, ces entreprises ont fait un gain net de 174 millions avec les bonbons du gouvernement du Québec, après déductions de toutes les charges sociales (Régime des rentes, Fonds des services de santé, etc.).

C’est beaucoup d’argent. D’autant plus qu’aujourd’hui, contrairement au moment de la mise en place de la mesure, en 1996, le Québec n’a presque pas de chômage et fait plutôt face à une pénurie de main-d’œuvre importante, notamment dans le secteur du logiciel.

Pourquoi subventionner des employés au profit de firmes étrangères quand on sait que d’autres entreprises du Québec s’arrachent ce genre de profil ?

Des 200 entreprises, 15 touchent les trois quarts des crédits d’impôt de 340 millions. Les 15 sont des filiales étrangères, notamment de la plus importante, Ubisoft.

Et ces filiales, constatent les auteurs, déclarent une marge de profit de 11 % au Québec, contre 18 % pour le même genre d’entreprise locale. Cette faible marge relative laisse penser que les sociétés étrangères parviennent à minimiser leurs impôts ici en jouant avec leur prix de transfert entre leur siège social à l’étranger et leurs filiales du Québec.

Malgré ces constats, la Chaire de recherche ne recommande pas l’abolition des crédits d’impôt de cette industrie, qui compte quelque 15 000 employés au Québec et a une contribution au produit intérieur brut du Québec de 1,3 milliard.

Selon les chercheurs, sans crédits, les entreprises quitteraient le Québec. Et il n’est pas clair qu’un expert des jeux vidéo voudra travailler dans un domaine plus traditionnel du logiciel au Québec, même s’il y a une forte pénurie. Les entreprises qui partent risquent donc d’attirer avec elles les employés les plus qualifiés, ce qui pourrait être néfaste pour le Québec, jugent-ils.

La concurrence n’est pas très loin, notamment à Vancouver et à Toronto, où il y a aussi de généreux crédits d’impôt. Grâce à ses politiques généreuses, le Québec conserve 42 % des emplois canadiens de ce secteur, devant la Colombie-Britannique (27 %) et l’Ontario (22 %).

À la lumière de ces constats, la Chaire propose de diminuer l’aide fiscale aux entreprises étrangères qui n’ont ici qu’un centre de service sans propriété intellectuelle.

Pourquoi cibler la propriété intellectuelle des jeux vidéo ? Parce qu’elle est susceptible d’accroître les profits, les retombées et les impôts payés.

Concrètement, la Chaire couperait aux centres sans propriété intellectuelle l’équivalent de 10 % du crédit d’impôt sur les salaires de 37,5 %, ce qui le ramènerait à 33,75 %.

Autre mesure : elle réduirait les montants des crédits d’impôt autant que l’écart entre les impôts payés sur la base des marges de profit des entreprises locales (18 %) par rapport aux filiales étrangères (11 %). L’écart serait calculé en dollars (et non en pourcentage) et pourrait se traduire par un moins grand nombre d’employés admissibles au crédit pour les filiales étrangères, au bout du compte.

Les auteurs proposent aussi de majorer l’aide à la commercialisation de jeux vidéo des entreprises qui ont ici leur propriété intellectuelle, par exemple les jeux accessibles sur cellulaire. Une telle aide pourrait s’élever à 100 000 $ par titre.

Enfin, ils élargiraient l’attribution du crédit d’impôt aux sous-traitants locaux, entre autres, souvent désavantagés par les critères d’admissibilité.

En Ontario, faut-il savoir, les entreprises de l’industrie ont un crédit plus élevé (40 % au lieu de 35 %) lorsqu’elles détiennent la propriété intellectuelle.

Ce que j’en pense ? Je sais, le salaire moyen du secteur est fort avantageux, à 75 900 $ (1). Je sais, nos mesures fiscales ont fait de Montréal le 5e pôle mondial de développement de jeux vidéo, derrière Tokyo, Londres, San Francisco et Austin. Et je sais, l’industrie poursuit sa croissance actuellement, notamment dans les jeux pour les téléphones portables, où la commercialisation devient cruciale.

Il reste que j’ai peine à comprendre quels avantages nets tire le Québec de ces énormes subventions dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre que nous vivons.

Consultez l’étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

1– Ce salaire moyen englobe des postes autres que le programmeur de jeux vidéo présenté dans le tableau ci-dessus. La même moyenne au Canada est de 78 600 $.