C’est un pavé dans la mare qu’a lancé le patron de la division aluminium de Rio Tinto, Ivan Vella. Un pavé qui donne une idée des risques que prend le gouvernement du Québec et des efforts que devront faire les contribuables pour décarboner nos alumineries.

Depuis des mois, le gouvernement – Pierre Fitzgibbon en tête – vante la technologie Elysis en développement, qui permettrait d’éliminer complètement les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la production d’aluminium. Il justifie ainsi la poursuite d’une stratégie industrielle critiquée, soit l’octroi de tarifs électriques préférentiels à l’industrie.

Or, Ivan Vella a récemment déclaré qu’avant tout, Elysis était vue comme une technologie pour augmenter la production dans de nouvelles installations, et non pour décarboner les alumineries actuelles. Sa justification : nos alumineries sont trop vieilles – et donc trop peu productives au vu des normes modernes – pour rentabiliser le remplacement de leurs cuves par la technologie Elysis.

« Investir à grande échelle pour moderniser l’une de ces [vieilles] fonderies soulève des interrogations sur le plan économique », a-t-il déclaré le 30 novembre, mentionnant, en plus, les difficultés que poserait la mise à pied des employés advenant une réfection majeure des vieilles alumineries.

« Je ne dis pas que nous ne pouvons pas. C’est quelque chose que nous allons devoir examiner attentivement [étant donné] la réduction qui pourrait provenir d’Elysis sur les fonderies existantes après 2030. Mais en premier lieu, je vois Elysis comme une occasion de croissance pour ajouter un nouvel aluminium zéro carbone [dans le marché] », a-t-il dit aux analystes financiers.

Ses propos sonnent comme un réveil brutal. Les observateurs avaient compris que nos gouvernements (provincial et fédéral) finançaient 120 millions des 228 millions de la première phase d’Elysis pour mettre à niveau nos vieilles alumineries, pour les verdir et les rendre ainsi plus attrayantes pour le marché, devenu plus exigeant à cet égard.

D’ailleurs, dans son communiqué de novembre 2021, l’entreprise Elysis indiquait que les cuves industrielles de la nouvelle technologie « sont conçues pour être utilisées en remplacement de cuves existantes ou pour la construction de nouvelles cuves ».

Ça ne semble plus être la vision de Rio Tinto, vu les présumés problèmes de rentabilité et de main-d’œuvre.

Bien sûr, Rio Tinto pourrait, avec Elysis, imiter les étapes qu’elle a entreprises avec le centre d’électrolyse Ouest (Arvida), à Jonquière.

Cette aluminerie de 812 cuves, qui date de 1926, sera fermée d’ici 2025 et la technologie AP60, plus performante, « vient en soutien transitoire pour la fermeture de l’aluminerie Arvida », est-il écrit dans la récente présentation de l’entreprise aux analystes.

La technologie AP60 est la dernière d’une lignée technologique. Bien que performante, elle est moins efficace qu’Elysis pour les GES, mais plus mûre pour une commercialisation à grande échelle. À ce jour, 38 cuves AP60 ont été installées dans un bâtiment adjacent à l’usine d’Arvida, et Rio Tinto projette d’en ajouter d’autres.

Rio Tinto a laissé entendre au gouvernement qu’Arvida pourrait servir de rampe de lancement progressive pour Elysis, ai-je appris de deux sources. La multinationale disposerait de suffisamment de terrains dans le secteur pour une fonderie adjacente.

Et selon la feuille de route, Elysis serait disponible pour planifier une production à grande échelle en 2024, production qui débuterait alors en 2026. Ce serait dès après le délai de fin de production d’Arvida, le 31 décembre 2025. Est-ce une coïncidence ?

Bref, une transition semblerait possible dans ce cas… en supposant que la technologie fasse ses preuves et qu’elle respecte les délais, ce qui n’est pas garanti. Sauf que le Québec abrite neuf alumineries⁠1, pas seulement une. Que feront les autres, qui ne disposent pas toutes d’autant d’espace ?

L’enjeu n’est pas anodin. Les alumineries produisent 5,3 millions de tonnes de GES par année, soit l’équivalent de 7 % de tous les GES émis au Québec.

Et d’ici 2030, Rio Tinto ne prévoit pas avoir réduit ses émissions de GES pour l’aluminium, selon la présentation faite aux analystes le 30 novembre. Seule l’implantation élargie d’Elysis le permettrait après cette date.

Bref, la décarbonation de nos alumineries n’est pas pour demain. Et en attendant, c’est le gouvernement – et donc les contribuables – qui passe à la caisse.

Québec, rappelons-le, a donné aux alumineries des allocations pour les dispenser de payer pour les GES qu’elles émettent. Les dispenses ne seront pas significativement réduites d’ici 2030.

En plus, Rio Tinto vient de se voir accorder 9,3 millions de dollars de subventions par le gouvernement pour l’aider à décarboner, dont 7,8 millions pour le secteur de l’aluminium.

C’est sans compter que Rio Tinto ne paie pratiquement pas d’impôts pour son secteur de l’aluminium au Québec. Et que la multinationale avait obtenu, pour une bouchée de pain, le droit de produire sa propre énergie sur la rivière Péribonka jusqu’en 2058, ce qui lui permet d’avoir les alumineries parmi les 10 % les moins coûteuses au monde.

François Legault a récemment déclaré que désormais, son gouvernement offrirait des rabais de tarifs d’électricité aux entreprises « selon la décarbonation proposée par l’entreprise et les retombées économiques », notamment les emplois dans le cas des alumineries.

Avec la sortie d’Ivan Vella, qui prend des allures de position de négociations, espérons que le gouvernement montrera enfin qu’il est en mesure de négocier serré, plutôt que de tenter de nous convaincre des vertus d’une industrie gavée de subventions.

1. Sur les neuf alumineries, cinq sont détenues en propriété exclusive par Rio Tinto et deux d’Alcoa. Les deux autres sont détenues en copropriété par Alcoa, Rio Tinto et d’autres partenaires.