La Caisse de dépôt et placement a un fichu problème sur les bras. Et ce problème, il n’est pas à la porte à côté, il est à New Delhi, en Inde.

Notre caisse collective a investi un demi-milliard dans un producteur d’énergie solaire prometteur, Azure Power Global. Or, de vilaines irrégularités ont été découvertes chez Azure qui obligeront possiblement la Caisse… à allonger encore plus de fonds.

Essentiellement, il est question de manipulation d’informations financières ou d’incohérences à l’égard de 4 des 23 projets d’énergie solaire d’Azure. Des employés ont été mis à la porte et une enquête a été ouverte contre certains ex-cadres pour possible corruption.

Pourquoi la Caisse devrait-elle allonger plus de fonds ? Parce que l’institution est l’actionnaire majoritaire (53,4 %) de cette entreprise inscrite à la Bourse de New York. Or, pour combler ses grands besoins de fonds, Azure ne peut guère compter sur d’autres sources de financement, comme un emprunt ou une émission d’actions, parce que les révélations des derniers mois ont miné ces canaux de financement.

Mercredi, le titre de l’entreprise a terminé la journée à 4,27 $ US. Il s’agit d’une chute de 77 % depuis mars dernier et de 91 % depuis janvier 2021. L’investissement de la Caisse valait 1,1 milliard au début de 2021 et ne vaut plus que 150 millions aujourd’hui…

Quant à la possibilité d’emprunter, elle est devenue difficile depuis que trois agences de notation, dont Moody’s et Fitch Ratings, ont indiqué aux emprunteurs la semaine dernière qu’Azure avait une « vulnérabilité élevée au risque de défaillance », bref, qu’elle risquait la faillite !

Dans son communiqué, Azure avertit pourtant que ses « réserves de liquidités et celles produites par les activités courantes pourraient ne pas être suffisantes à moins d’un refinancement par dette ou capital-actions ». L’entreprise évoque aussi la possibilité d’être retirée de la cotation par la Bourse de New York, vu le retard pour produire ses états financiers.

Dit autrement, si la Caisse de dépôt veut protéger son investissement, elle pourrait devoir ajouter de l’argent. C’est aussi le cas de l’autre caisse canadienne engagée dans l’affaire, OMERS, qui a une participation de 21,4 % dans Azure. OMERS est le fonds de retraite des employés municipaux de l’Ontario.

Sans être grande, Azure n’est pas une firme indienne sans substance non plus. L’entreprise fondée en 2008 produit annuellement près de 6 TWh d’énergie solaire, soit un peu plus que la société Boralex, du Québec, mais 35 fois moins qu’Hydro-Québec.

Les revenus annualisés d’Azure avoisineraient les 260 millions US, selon les données non auditées de l’entreprise révélées mercredi. Impossible de connaître ses pertes récentes avec les données partielles disponibles, mais l’an dernier, Azure dégageait des liquidités positives de son exploitation. Et au 30 septembre 2022, elle avait l’équivalent de 262 millions US en banque.

Azure connaît toutefois certains problèmes de paiements avec des clients, elle fait l’objet de poursuites et elle a besoin de beaucoup de fonds pour son développement. Sans compter qu’elle a une dette de 1,6 milliard US, dont une obligation de 350 millions US qui vient à échéance en 2024, qu’il faudra refinancer dans un contexte des difficultés de l’entreprise et de la hausse des taux d’intérêt. Et bien sûr, il y a les enquêtes en cours pour irrégularités, dont on ne sait pas comment elles aboutiront.

La Caisse ne peut pas invoquer les mêmes excuses pour ses déboires dans Azure que pour Celsius Network, un autre placement qui a mal tourné, cette fois dans les cryptomonnaies (perte de 200 millions CAN).

La Caisse de dépôt détenait moins de 5 % de Celsius depuis peu, alors qu’elle est actionnaire d’Azure depuis octobre 2016 et qu’elle détient plus de 50 % du producteur d’énergie depuis trois ans.

Dans ces circonstances, on peut se demander si certains, à la Caisse, seront tenus responsables des problèmes de gouvernance d’Azure. Dans le secteur financier privé, ce genre de situation pardonne difficilement. Les gestionnaires touchent une énorme rémunération, mais écopent quand les choses tournent mal.

Certes, le demi-milliard de dollars investi au fil des ans dans Azure est somme toute petit comparativement au portefeuille d’infrastructures de la Caisse (45 milliards), qui relève d’Emmanuel Jaclot depuis 2018. Il reste que cette situation est hors du commun et nuit à la réputation de l’institution. Et bon, ce portefeuille d’infrastructures ne présente pas des rendements relatifs mirobolants depuis 10 ans.

À la Caisse, la porte-parole Kate Monfette dit ne pouvoir faire de commentaires, étant donné qu’il s’agit d’une société inscrite en Bourse.

Selon sa loi constitutive, la Caisse ne peut normalement détenir plus de 30 % des actions ordinaires d’une société d’infrastructures, sauf dans certaines exceptions (c’est devenu le cas pour le REM). Kate Monfette assure toutefois que ce placement de plus de 50 % dans Azure est en conformité avec sa loi.

Un dossier à suivre, assurément.

Note
Après une première publication, ce texte a fait l’objet d’ajouts, notamment concernant la possibilité d’Azure de voir son titre retiré de la cotation de la Bourse de New York et concernant une obligation venant à échéance en 2024.