L’investissement d’un demi-milliard de la CDPQ dans cette entreprise indienne a fondu de manière spectaculaire

Il y a de nouveaux squelettes dans le placard chez Azure Power Global, producteur indien d’énergie solaire dans lequel la Caisse de dépôt et placement du Québec a investi un demi-milliard de dollars – un placement qui a perdu des plumes depuis l’été.

Plusieurs questions demeuraient sans réponse malgré une mise à jour substantielle publiée mercredi par l’entreprise. Trois autres projets – sur les 23 actuellement en service – montrent des irrégularités, alors qu’un seul faisait auparavant l’objet d’allégations. Azure prévient aussi que ses réserves risquent d’être insuffisantes pour poursuivre son chemin. On apprend également qu’elle est visée par une action collective aux États-Unis.

« Tous les signaux d’alarme sont là », souligne Raphaël Duguay, professeur de comptabilité à l’Université Yale, en entrevue avec La Presse.

Azure a déclenché une enquête interne en août dernier dans la foulée d’allégations soulevées par un lanceur d’alerte et du départ surprise de son président-directeur général, qui n’était en poste que depuis deux mois. Ces éléments ont contribué à la chute de son action à la Bourse de New York, qui ne s’est toujours pas relevée depuis.

Résultat : l’investissement du bas de laine des Québécois, principal actionnaire (53 %), a fondu à 145 millions US. À son sommet, au début de 2021, le placement valait approximativement 1 milliard US.

Cette débâcle éclabousse aussi le Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS) – deuxième actionnaire en importance avec une participation de 21,5 %.

Malgré le flou persistant, les deux principaux propriétaires d’Azure n’ont pas souhaité commenter la situation, mercredi.

Pas au bout de ses peines

L’enquête interne n’est toujours pas terminée chez Azure, mais les résultats préliminaires laissent entendre qu’il n’y a pas eu de corruption auprès des gouvernements locaux en Inde. À l’interne, le portrait est différent. Un comité spécial du conseil d’administration passe toujours au peigne fin les contrats des trois dernières années pour vérifier s’il y a eu des gestes de corruption ou d’autres irrégularités. Il enquête sur des allégations de malversations visant d’ex-dirigeants, qui n’ont pas été nommés.

« La société a divulgué les détails de l’enquête à la Securities and Exchange Commission et au département américain de la Justice et continue de coopérer », précise Azure dans sa mise à jour.

On ignore toujours la gravité des irrégularités concernant les trois projets solaires d’Azure auxquels l’entreprise a fait référence mercredi dans sa mise à jour. L’identité du prochain président-directeur général et le moment où Azure présentera finalement les résultats audités de son dernier exercice financier – attendus depuis l’été – demeurent inconnus.

« Les délais s’étirent, et ce qu’on nous indique entre les lignes est qu’on trouve des choses au fur et à mesure que l’enquête progresse », explique le directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP), François Dauphin.

Il semble y avoir de plus en plus d’incohérences et de faiblesses assez importantes au niveau des contrôles internes. C’est un peu inquiétant.

François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP)

La Caisse a investi dans l’entreprise indienne pour la première fois en 2016 et s’est progressivement imposée, au point d’en devenir l’actionnaire majoritaire en 2020. Azure est le type d’investissement cadrant avec les objectifs climatiques de l’institution, qui ambitionne de détenir 54 milliards en actifs verts d’ici le milieu de la décennie.

« On cherche des investissements verts, il n’y en a pas un million, souligne M. Duguay. On doit parfois se tourner vers des investissements étrangers, qui sont plus à risque. Le cas d’Azure met en lumière les risques auxquels on s’expose. »

Risques financiers

Après avoir été décotée, la semaine dernière, par les agences de notation Fitch et Moody’s, Azure prévient qu’elle risque d’avoir de la difficulté à s’acquitter de ses obligations financières. Même si elle disposait de 300 millions US dans ses coffres au 31 mars 2022 – une information non validée par un auditeur externe –, l’entreprise est endettée à hauteur de 1,6 milliard US. Elle a donc besoin d’argent pour rembourser ses prêts et financer sa croissance. Sur une note plus positive, ses revenus de l’exercice 2022, toujours non audités, montrent une progression de 21 %.

Selon François Dauphin, cela pourrait contraindre la Caisse et OMERS à délier les cordons de la bourse et venir à la rescousse.

Cela met de la pression sur les actionnaires actuels qui ont déjà le bras bien tendu dans l’engrenage.

François Dauphin

« Ça témoigne de toute la difficulté à assurer une gouvernance à distance pour des entreprises de cette nature, estime-t-il. Il y a des limites à ce qu’on peut faire avec des gens d’ici et les déménager sur place. Il y a quand même un environnement juridique à maîtriser sur place. »

Détenant ensemble 75 % de l’entreprise, la Caisse et OMERS ont chacun un représentant au conseil d’administration. En raison de la tournure des évènements, l’institution québécoise doit aller plus loin et jouer un rôle de « premier plan », croit Raphaël Duguay.

« Elle doit s’impliquer dans la nomination de l’équipe de gestion, dit le professeur de comptabilité à Yale. Il y a eu un certain roulement chez les cadres. La Caisse doit s’assurer que des personnes qualifiées soient nommées dans les postes-clés. »

En ce qui a trait à l’action collective, le document a été déposé auprès des tribunaux new-yorkais le mois dernier. La somme réclamée à l’entreprise n’est pas précisée.

En savoir plus
  • 2008
    Année de fondation d’Azure Power Global
    source : azure power global
    2018
    C’est une décennie après sa création qu’Azure a effectué son entrée à la Bourse de New York.
    source : azure power global