Ford et ses partenaires, qui mettent la pédale douce sur un projet phare de la filière des batteries à Bécancour, font chacun face à d’importants défis financiers, a constaté La Presse. Ce chantier milliardaire est au neutre alors que plusieurs étages sont sortis de terre.

Ce qu’il faut savoir

  • Le projet d’usine de cathodes de Ford et deux partenaires sud-coréens est sur pause à Bécancour.
  • Ce revirement de situation est imputé à des enjeux technologiques, selon ce qu’ont dit les promoteurs au gouvernement Legault.
  • Ils sont cependant chacun confrontés à d’importants défis financiers, a constaté La Presse.

Une perte trimestrielle de 1,3 milliard US dans le segment électrique chez Ford, des ventes qui dégringolent chez EcoPro BM et plusieurs trimestres à l’encre rouge chez SK On : le virage électrique de ces trois multinationales est coûteux.

La Presse a révélé, le 30 avril dernier, que le géant américain de l’automobile et ses deux partenaires sud-coréens levaient le pied sur la construction de leur usine québécoise de cathodes – le pôle positif d’une batterie lithium-ion. Selon le gouvernement Legault, les promoteurs imputent cette décision à une analyse de « la meilleure option technologique » à déployer à Bécancour1.

Une semaine après ce coup de frein, plusieurs questions demeurent sans réponse. Les trois entreprises n’ont apporté aucune précision, notamment sur l’enjeu technologique. Le cabinet de relations publiques National, qui représente EcoPro, s’est limité à transmettre une « déclaration commune des partenaires ».

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Au passage de La Presse sur le site, vendredi dernier, les travaux étaient à l’arrêt.

« La construction de l’usine de cathodes à Bécancour se poursuit, peut-on lire. Les trois partenaires de la coentreprise sont activement engagés dans des discussions visant à optimiser les opérations. »

Au passage de La Presse sur le site, vendredi dernier, les travaux étaient pourtant à l’arrêt. Lundi, il n’avait pas été possible de savoir qui prenait la relève d’AtkinsRéalis (anciennement connue sous le nom de SNC-Lavalin) à titre de maître d’œuvre du chantier et d’avoir une idée des sommes injectées jusqu’à présent dans la construction.

Avec étonnement, le 29 avril dernier, la multinationale québécoise annonçait qu’EcoPro avait demandé la « cession du contrat de sous-traitance ». AtkinsRéalis ajoutait que cette décision émanait de « raisons indépendantes de [sa] volonté et non liées à [sa] performance ».

« Nous vous demandons de bien vouloir suspendre, de façon sécuritaire, et en minimisant les coûts en résultant, l’exécution des travaux de sous-traitance jusqu’à ce que vous receviez de nouvelles instructions », écrit la firme d’ingénierie, dans une lettre que nous avons pu consulter.

Beaucoup de rouge

Les plus récents résultats trimestriels de Ford, d’EcoPro BM et de SK On témoignent des défis à surmonter pour chacune de ces entreprises.

Spécialisée dans les batteries, SK On, qui fait partie du conglomérat SK Innovation, continue d’être déficitaire. Sa perte atteignait 245 millions US au terme des trois premiers mois de l’année. Impliquée dans des projets aux quatre coins de la planète, l’entreprise croit pouvoir renouer avec l’équilibre en deuxième moitié d’année. Elle doit néanmoins se serrer la ceinture.

« Devant l’éventualité d’une reprise tardive de la demande de véhicules électriques, nous améliorons notre structure de coûts par le biais d’une optimisation et d’une gestion plus stricte », soulignait le chef des finances de SK On, Kyung-Hoon Kim, le 29 avril, lors d’une conférence téléphonique avec les analystes financiers.

Le spécialiste des matériaux de batteries EcoPro BM continue d’engranger des bénéfices, mais leur déclin est vertigineux. Diffusés le 3 mai dernier, ses résultats du premier trimestre faisaient état d’un plongeon de 73 % du bénéfice d’exploitation, qui s’établissait à 245 millions US. Les revenus étaient de 715 millions US, en diminution de 52 % par rapport au premier trimestre 2023.

Sans offrir de prévisions, EcoPro BM soulignait également anticiper « une reprise de la demande » plus lente que prévu de la part des fabricants de cellules et de batteries cette année.

Difficile d’y voir clair à l’endroit de la stratégie de Ford et de ses partenaires, estime Yan Cimon, professeur titulaire de stratégie à la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Chose certaine, le « mouvement de fonds » vers l’électrification « va se produire ».

« Le fait qu’AtkinsRéalis ait démobilisé le chantier [à Bécancour], c’est le bout un peu plus tannant de l’histoire, souligne M. Cimon. Cela veut dire que le projet sera probablement plus long. »

Partenariat pas encore ficelé

Par ailleurs, huit mois après l’annonce du projet de 1,2 milliard à Bécancour – financé à hauteur de 640 millions par Québec et Ottawa –, les trois promoteurs n’ont toujours pas scellé la coentreprise qui les lient, a constaté La Presse. EcoPro BM est toujours l’unique commanditaire indirect de la société en commandite EcoPro CAM Canada.

En août 2023, les promoteurs indiquaient pourtant que Ford et SK On allaient devenir commanditaires de l’entité après avoir finalisé les négociations. Malgré le début des travaux à Bécancour, Ford et SK On continuaient de se faire attendre. Au moment d’écrire ces lignes, il n’avait pas été possible de savoir pourquoi.

Piloté par General Motors (GM) et POSCO, l’autre projet d’usine de cathodes en construction à Bécancour ne se trouve pas dans cette situation. Au Registraire, ces deux entreprises sont actionnaires d’Ultium Cam, l’entité créée pour exploiter le complexe.

Avec la collaboration de Francis Vailles et d’Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

1. Lisez « Le chantier de l’usine de Ford mis sur pause »
En savoir plus
  • 2026
    Année prévue du démarrage de l’usine à Bécancour. Cet échéancier sera vraisemblablement repoussé.
    Source : LA PRESSE
    13,6 millions
    Prix payé pour le terrain du complexe dans le parc industriel et portuaire à Bécancour
    Source : la presse