La situation

Les conjoints Julie*, 44 ans, et Carl*, 45 ans, projettent de prendre leur retraite à 60 ans, dans une quinzaine d’années.

Ils cherchent conseil sur la planification et la faisabilité financières de ce projet de retraite hâtive, avec le maintien de leur train de vie à un niveau raisonnable.

Leur bilan financier se résume ainsi : revenus de couple totalisant 116 000 $, des actifs financiers en régime enregistré d’épargne-retraite (REER), en compte d’épargne libre d’impôt (CELI) et en compte de retraite immobilisé (CRI) à hauteur de 390 000 $, leur résidence estimée à 300 000 $ et libre de dettes.

Toutefois, la répartition de ces revenus et de ces actifs financiers entre chaque conjoint est très différente.

D’une part, Julie bénéficie d’un bon salaire – 90 000 $ par année – et participe au solide régime de retraite à prestations déterminées (RREGOP) du secteur public québécois.

En contrepartie, Julie a très peu d’actifs financiers en CELI (48 000 $) et son REER est encore à zéro, mais avec 31 000 $ en cotisations inutilisées.

Selon son relevé personnel du RREGOP, Julie serait admissible à une rente de 62 000 $ par année de son 60e à son 65e anniversaire. Cette rente viagère serait réduite à 46 700 $ après ses 65 ans, avant le début des prestations du RRQ provincial.

Mais si Julie commençait à percevoir sa rente du RREGOP à l’âge habituel de 65 ans, son montant viager serait alors de l’ordre de 55 000 $ par année, soit presque 9000 $ de plus.

D’autre part, son conjoint Carl, travailleur autonome depuis deux ans, a un revenu bien moindre (environ 26 000 $) et il n’a pas de régime de retraite.

Néanmoins, au fil de ses emplois antérieurs, et des arrangements budgétaires avec sa conjointe, Carl a pu accumuler pour 342 000 $ en actifs financiers d’épargne-retraite dans ses comptes REER, CELI et CRI.

Aussi, Carl bénéficie depuis deux ans des transferts de cotisations inutilisées du REER de sa conjointe Julie, afin de compenser son absence d’un régime de retraite.

« Nous avons convenu de ce transfert afin de rehausser les sources de revenus de Carl à la retraite [décaissement de REER, CELI et CRI, rentes du RRQ provincial et de la PSV fédérale], et alors que mes propres revenus de retraite [rentes du RREGOP, du RRQ provincial et de la PSV fédérale] s’annoncent déjà à un bon niveau, explique Julie lors d’une discussion avec La Presse.

« Mais est-ce encore la bonne façon de faire ? D’un point de vue financier ? Et fiscal ? »

Quant à leur train de vie prévu à la retraite, le budget courant de Julie et de Carl atteint un total modéré de 50 000 $ par année. S’ajoutent à ce montant leurs versements d’environ 32 000 $ par année dans leurs comptes d’épargne-retraite (REER, CELI) ; une habitude d’épargne que le couple prévoit de maintenir en appui à son projet de retraite hâtive dans une quinzaine d’années.

Dans ce contexte, Julie et Carl demandent : « Sommes-nous sur la bonne voie en matière de planification financière de notre projet de retraite à 60 ans ? Aurons-nous suffisamment de sources de revenus de retraite pour maintenir notre train de vie jusqu’à un âge avancé ? Et sans devoir revendre notre maison plus vite que souhaité afin de renflouer notre capital en épargne-retraite ? »

La situation et les questions de Julie et Carl ont été soumises pour analyse-conseil à Julie Tremblay, qui est planificatrice financière et conseillère en sécurité financière chez IG Gestion de patrimoine, dans la région de Québec.

Les chiffres

Julie : 44 ans

Revenu d’emploi : 90 000 $

Actifs financiers personnels :

– REER : 0 $
– CELI : 48 000 $
– Compte d’épargne : 14 000 $
– Participante au régime de retraite RREGOP du secteur public québécois

Carl : 45 ans

Revenu de travail autonome : 26 000 $

Actifs financiers personnels :

– REER : 260 000 $
– CELI : 28 000 $
– CRI : 54 000 $
– Compte d’épargne : 22 000 $

Actif non financier du couple :

– Résidence (copropriété en parts égales) : 300 000 $

Aucun passif de dette

Débours budgétaires : 82 000 $ par année

(13 000 $ liés à la résidence, 37 000 $ liés au style de vie, 32 000 $ liés à l’épargne-retraite et aux placements en REER et CELI)

Les conseils

La première question du couple de quarantenaires concerne la pertinence financière et fiscale que Julie transfère ses cotisations de REER inutilisées vers le REER de Carl, afin de compenser son absence d’un régime de retraite.

« Oui, assurément, dans un contexte où ils sont mariés, répond d’emblée Julie Tremblay.

« Le REER de conjoint est un REER auquel Julie cotise mais dont son conjoint Carl est le rentier. De cette façon, parce que Julie a un taux d’imposition plus élevé que celui de Carl, elle bénéficie donc de remboursements d’impôt plus importants en transférant ses propres droits de cotisations de REER vers celui de son conjoint, explique Mme Tremblay.

« Au moment de la retraite, Carl pourra effectuer des retraits de son REER à un taux d’imposition moindre que celui de Julie. Cet écart d’imposition leur fera faire des économies fiscales. Aussi, les cotisations de Julie au REER de son conjoint leur permettront de mieux équilibrer leurs revenus futurs à la retraite. »

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Julie Tremblay, planificatrice financière et conseillère en sécurité financière chez IG Gestion de patrimoine, dans la région de Québec

Mme Tremblay émet une mise en garde à Julie « dans le cas où elle et Carl vivent comme conjoints de fait », au lieu d’être mariés. « Julie doit savoir qu’en cas de rupture conjugale, son capital cotisé dans le REER de conjoint Carl lui serait perdu à jamais en l’absence d’une convention de vie commune établie devant notaire. »

La seconde question de Julie et Carl concerne la faisabilité financière de leur projet de retraite à 60 ans, soit dans une quinzaine d’années.

« Le couple mentionne avoir besoin à la retraite de 50 000 $ net par année [après impôt] pour soutenir leur train de vie, constate la planificatrice financière Julie Tremblay.

« Côté revenu, on sait qu’entre 60 et 65 ans, le couple va recevoir 62 000 $ en revenu brut [avant impôt] du régime de retraite RREGOP de Julie. Ils devront donc décaisser légèrement de leur épargne-retraite personnelle durant cette période pour subvenir à leurs besoins de 50 000 $. Ce décaissement se fera principalement du REER de Carl », explique Mme Tremblay.

Ensuite, à partir de 65 ans, les revenus de retraite du couple seront constitués de la rente du RREGOP de Julie (ramenée à 46 700 $ par année) ainsi que de leurs rentes respectives provenant du RRQ québécois et de la PSV fédérale.

De l’avis de Julie Tremblay, grâce à leur épargne-retraite « déjà importante » et à l’absence de dette à leur bilan, les sources de revenus de retraite de Julie et de Carl après 60 ans s’annoncent suffisantes pour financer leur train de vie projeté à 50 000 $ par année.

De plus, en considérant un taux d’inflation de 2,2 % par année et un rendement de l’ordre de 4,4 % par année sur leur capital en épargne-retraite, la planificatrice financière estime que Julie et Carl pourraient même bénéficier d’un choix entre deux scénarios budgétaires d’ici la retraite à 60 ans.

« Soit qu’ils atténuent un peu leur effort d’épargne-retraite tout en maintenant leur train de vie projeté à la retraite autour de 50 000 $ par année. Soit qu’ils maintiennent leur effort en épargne-retraite à son niveau actuel [environ 30 000 $ par année] afin d’avoir les moyens de bonifier leur train de vie de retraite à plus de 50 000 $ par année », suggère Mme Tremblay.

Par ailleurs, elle mentionne un « autre élément intéressant dans la situation financière du couple », c’est-à-dire la possibilité de réduire leur facture fiscale à la retraite en recourant au fractionnement du revenu de rentes de Julie en faveur de Carl.

« Ils pourront alors niveler leurs revenus de retraite imposables en transférant jusqu’à 50 % de la rente de retraite de Julie [du RREGOP] au bénéfice de Carl, indique la planificatrice financière Julie Tremblay.

« Ce fractionnement de revenus s’effectuera annuellement lors de la production de leurs déclarations de revenus. En procédant ainsi, Julie et Carl pourraient diminuer leur facture fiscale à la retraite, et bonifier d’autant la durabilité de leur patrimoine en épargne-retraite et en valeur nette d’actif immobilier. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.