Et si, plutôt que de prédire 2023, nos chroniqueurs tentaient d'imaginer ce qui n'arrivera pas?

Ils ont beau avoir l’environnement à cœur, nos politiciens évitent de prendre certaines décisions essentielles, craignant de se mettre à dos leur électorat. Et parmi celles qu’ils ne prendront pas en 2023, selon moi, figure l’encadrement sévère des publicités automobiles, comme les véhicules utilitaires sport (VUS).

L’énorme impact du réchauffement climatique n’est pourtant plus à démontrer. Pas plus que la responsabilité du secteur des transports, qui émet 43 % des gaz à effet de serre (GES) au Québec, au premier rang.

Depuis 1990, le nombre de véhicules automobiles a augmenté trois fois plus vite que la population, faisant croître les GES du secteur de 60 %. Et au cœur de cette croissance figure la prolifération des VUS (+ 319 %).

Pourquoi laisser le champ libre à cette industrie, dans un tel contexte ?

« La publicité joue un grand rôle dans l’engouement pour les camions légers. Elle normalise les véhicules de taille surdimensionnée sur les routes, renforce l’aspect positif des VUS », a expliqué Verena Gruber, professeure de marketing à HEC Montréal, lors d’un panel sur la publicité automobile et les GES, le 28 septembre.

Regardez la captation du panel

Faut-il pour autant interdire toutes les pubs sur les VUS ? Pas nécessairement, du moins, pas dans un premier temps, croient Mme Gruber et les panélistes Andréanne Brazeau, d’Équiterre, et Marc Desnoyers, de la firme Upperkut.

Selon eux, il faut d’abord bannir les publicités liées au désir, pas celles sur les besoins. C’est ce qui a été fait avec le tabac, il y a 40 ans, interdisant d’abord aux manufacturiers les annonces publicitaires de type « style de vie ».

Par exemple, plus question de montrer des joueurs de tennis, après un match endiablé, fumer une cigarette relaxante. La publicité sur le tabac a plus tard été totalement interdite, de même que les commandites1.

Dans le cas des manufacturiers de VUS, les annonceurs jouent sur l’émotivité des consommateurs, souvent davantage que sur les attributs de leurs produits. On donne aux VUS une image de sécurité, de liberté, qui impose le respect. On associe les VUS au sport, au plein air, à notre nordicité. On veut que ces véhicules soient perçus comme une extension de soi, explique Mme Gruber.

L’idée est donc de s’attaquer d’abord à ce genre d’annonces publicitaires. Et d’interdire les messages de VUS dans des paysages grandioses, qui invitent les consommateurs à jouir de la vie, du plein air et de la conduite en forêt.

Comme pour la cigarette, une telle interdiction serait loin d’être absurde, sachant que les GES qu’émettent ces VUS ont pour conséquences, justement, de dégrader petit à petit cette nature dont ils se servent pour vendre leurs produits.

Deuxième exigence qui devrait être inscrite dans un règlement : que les annonces publicitaires affichent obligatoirement, et bien en vue, le niveau de consommation d’essence des véhicules ou d’émissions de GES.

Au Royaume-Uni et en France, les annonceurs sont déjà obligés d’indiquer le niveau d’émissions de CO2 de leurs véhicules, dit Andréanne Brazeau.

Il y a quelques années, on a interdit ici de faire des publicités qui montrent la vitesse au volant, en raison de leur influence sur les consommateurs et de leur impact sur la sécurité publique. Après la vitesse, pourquoi pas les GES ?

Troisième exigence d’un éventuel règlement : que soient interdites les publicités de véhicules polluants dans des médias de sociétés publiques et parapubliques. Parmi ces sociétés, mentionnons les municipalités, les sociétés de transports en commun et, pourquoi pas, les diffuseurs publics, comme la Société Radio-Canada et Télé-Québec.

Encore une fois, ce ne serait pas une première. En 2021, la ville d’Amsterdam, aux Pays-Bas, a interdit à ses sociétés de transports en commun d’accepter des publicités de véhicules à essence et de voyages en avion. Et une autre ville néerlandaise, Haarlem, a adopté un règlement pour interdire dès 2023 toute publicité sur la viande sur les espaces publicitaires qu’elle détient, vu l’impact de la viande sur les GES.

Au fond, n’est-il pas logique qu’un gouvernement qui dépense des fonds publics pour réduire les GES s’abstienne d’empocher des revenus publicitaires qui vont dans le sens inverse ?

Enfin, quatrième exigence (c’est la mienne, cette fois) : que les manufacturiers automobiles, concessionnaires et autres annonceurs n’aient plus droit de recourir à des personnalités publiques et autres comédiens pour vendre leurs produits polluants.

Entre vous et moi, à moins d’être climatosceptique ou en faillite, quel comédien peut bien vouloir user de son talent, de sa belle apparence ou de son humour pour contribuer à accélérer le réchauffement climatique ?

Je sais, tout ça peut paraître radical, mais ne sommes-nous pas rendus là ? N’est-ce pas ce qui a été fait avec l’industrie du tabac, avec un grand succès ?

Andréanne Brazeau est consciente que les médias sont largement dépendants de la publicité, notamment automobile. Et que si on leur retire cette source de revenus, leur rentabilité déjà fragile en sera affectée et la société ne sera pas mieux servie.

Néanmoins, elle juge qu’en autorisant tout de même les annonces de VUS qui publicisent les attributs de leurs produits plutôt qu’un style de vie, dans un premier temps, les médias seraient épargnés. Elle rappelle que le quotidien anglais The Guardian a déjà fait un premier pas, en 2020, en refusant toute publicité venant des sociétés pétrolières et gazières.

N’oublions pas que, de toute façon, la vente de véhicules neufs à essence sera totalement interdite dès 2035, dans 12 ans.

Malheureusement, je doute fort que nos élus aient le courage d’encadrer ainsi les publicités automobiles, en 2023. Peut-être en 2024 ?

1. Le législateur voulait éviter que la cigarette véhicule des images positives de choix de vie, que les consommateurs voudraient imiter. La décision était d’autant plus sensée que le tabac et le sport ont des effets diamétralement opposés sur la santé.