Et si, plutôt que de prédire 2023, nos chroniqueurs tentaient plutôt d’imaginer ce qui n’arrivera pas ?

Malgré la forte probabilité d’un ralentissement économique anticipé pour le début de la prochaine année, la pénurie de main-d’œuvre qui afflige bon nombre d’entreprises du secteur manufacturier, de la construction ou des services sociaux, notamment, ne se résorbera pas pour autant au Québec en 2023. Parce que des postes vacants, il va en rester encore et encore, et ce, même si le nombre de chômeurs augmente en raison d’une possible récession.

Les risques de récession en 2023 sont de plus en plus réels et ils n’ont fait qu’aller en augmentant durant l’automne, alimentés par la forte inflation et la flambée des taux d’intérêt qui ont altéré le pouvoir d’achat des consommateurs pour éventuellement nourrir un ralentissement de l’activité économique, ce que souhaitaient les autorités monétaires canadiennes.

Même le premier ministre François Legault a évoqué après son élection en octobre dernier l’éventualité que l’économie québécoise risque à 50 % de tomber en récession au cours de 2023.

Si l’économie ne se contracte pas et ne fait que stagner, le Québec pourrait alors échapper à la stagflation qui est caractérisée par une activité économique qui fait du surplace, mais qui est frappée par une forte inflation et une hausse importante du chômage.

C’est la variable « hausse importante du chômage » qui ne cadre pas dans l’équation d’une éventuelle stagflation de l’économie québécoise.

D’abord parce que le taux de chômage au Québec s’établissait en novembre au niveau plancher de 3,8 %, ce qui traduit une situation de plein emploi par rapport au taux de chômage affiché de 5,1 % pour l’ensemble du Canada.

Deuxièmement, le Québec enregistrait toujours au troisième trimestre le deuxième taux d’emplois vacants parmi les plus forts au Canada, tout juste derrière la Colombie-Britannique, avec un total de 244 000 emplois disponibles, selon Statistique Canada. Des emplois qui ne trouvent pas preneur et qui viennent gonfler le problème de la pénurie de main-d’œuvre.

Troisièmement, ce sont encore plus de 150 000 emplois permanents qui vont se libérer durant l’année 2023 en raison des départs à la retraite d’autant de travailleurs actifs qui ont atteint l’âge de quitter le marché de l’emploi.

Selon le gouvernement du Québec, entre 2017 et 2026, le vieillissement de la population va avoir entraîné la perte de 1,4 million de travailleurs issus de la génération des baby-boomers, des employés que le déséquilibre démographique empêche de remplacer adéquatement.

Des postes vacants à arrimer

Ce qui veut dire que même si la situation économique se détériorait de façon plus importante que prévu en 2023 et entraînait des licenciements plus nombreux qu’anticipé, le Québec devrait quand même se retrouver avec un surplus d’emplois disponibles.

Actuellement, le Québec affiche un taux de postes vacants de 5,8 % alors qu’il présente un taux de chômage de 3,8 % parce qu’il y a plus de postes à pourvoir que de postulants à ces emplois.

Si l’activité économique devait se contracter durant la première moitié de 2023 et entraîner l’économie québécoise en récession, beaucoup d’entreprises actuellement en recrutement pourraient tout simplement décider de ne pas pourvoir les postes vacants sans sabrer les effectifs existants.

Chaque semaine, je rencontre des présidents d’entreprises dans tous les secteurs d’activité et au cours des deux dernières années, je n’en ai pas entendu un seul me dire qu’il n’avait pas des besoins de main-d’œuvre à combler.

La pénurie de travailleurs – qu’ils soient spécialisés ou simples commis – frappe largement les entreprises québécoises qui disposent donc d’une marge de manœuvre en cas de ralentissement économique et de resserrement de leurs activités.

Bien qu’il puisse survenir des disparités selon les secteurs d’activité, comme me le précise Sami Bibi, économiste à Statistique Canada.

On peut avoir cruellement besoin de pourvoir 100 postes d’infirmières et se retrouver avec 100 électriciens disponibles parce qu’ils ont perdu leur emploi. Ou des disparités régionales, avec 100 emplois de mineurs à pourvoir en Abitibi et 100 employés du secteur de l’hébergement qui viennent de se faire licencier en Montérégie.

L’adéquation ne sera pas toujours évidente et il faudra réaliser un certain arrimage en fonction des différentes réalités qui vont se dessiner selon l’évolution de la conjoncture économique.

Mais, règle générale, la situation démographique particulière du Québec et l’abondance de postes à pourvoir constituent à elles seules un rempart assez étanche face à une dégradation des conditions économiques et celles appréhendées de l’emploi.

La nouvelle réalité économique qui doit s’ancrer dans la transition écologique et énergétique va à elle seule générer de nouveaux besoins de main-d’œuvre qui vont s’additionner à ceux déjà existants.

La pénurie de talents et de main-d’œuvre ne se réglera surtout pas avec le ralentissement ou la récession qu’on attend pour le début de 2023. On en a encore pour des années à vivre avec cette réalité.