La chronique est un art qui se pratique souvent dans le feu de l’action. La fin de l’année est une bonne occasion pour nos chroniqueurs de voir ce qu’ils auraient pu faire différemment, avec du recul.

Force est d’admettre que je me suis trompé. Jamais je n’aurais pensé que l’Alberta se sortirait aussi rapidement de son merdier budgétaire.

En 2017, comme en 2019 et en 2021, j’écrivais que la situation de l’Alberta était catastrophique. « Il faut appeler un chat un chat : l’Alberta traverse une crise budgétaire majeure qui ne se résorbera pas de sitôt », disais-je en 2017.

Or cette année (2022-2023), l’Alberta vogue vers un surplus record de 12,3 milliards de dollars, selon la récente mise à jour de mi-année. Le revirement est spectaculaire par rapport au déficit prépandémique de 12,2 milliards (2019-2020). Wow !

Le surplus est tel que l’Alberta présente maintenant la meilleure situation budgétaire des 10 provinces, alors qu’elle avait la pire il y a 3 ans. Le Québec, pendant ce temps, est beaucoup plus stable, passant d’un surplus de 2,1 milliards à un déficit de 1,5 milliard sur la même période (avant le versement au Fonds des générations, pour rendre les choses comparables).

Une comparaison des soldes budgétaires par habitant permet de mieux saisir le revirement. Il y a 3 ans, l’Alberta présentait un déficit équivalant à 2800 $ par habitant, comparativement à un surplus de 247 $ au Québec. Aujourd’hui, le surplus albertain équivaut à 2700 $ par habitant, contre un déficit de 172 $ au Québec.

Que s’est-il passé ? Essentiellement, la vie financière des Albertains a fluctué au rythme du prix des énergies fossiles, desquelles ils tirent d’importantes redevances.

Le prix du baril de pétrole WTI est passé de 107 $ US en 2014 à moins de 60 $ US entre 2015 et 2017, faisant fondre la prospérité albertaine.

Les prix ont remonté en 2018 et 2019, atteignant même 74 $ US le baril en octobre 2018, mais se sont à nouveau effondrés en 2020 avec le confinement pandémique et la forte diminution de la circulation automobile.

Avec la vaccination de masse et le retour à une certaine normalité, au printemps 2021, le prix du pétrole s’est redressé, avant d’exploser avec la guerre en Ukraine, franchissant souvent le seuil des 100 $ US le baril entre mars et mai 2022.

Les revenus tirés des ressources ont varié dans le même sens que les prix. Imaginez, cette année, ces revenus atteindront 28,1 milliards, prévoit le gouvernement albertain, comparativement à moins de 5 milliards entre 2015 et 2021. L’écart est ahurissant.

Il faut rendre à César ce qui lui revient, tout de même. Le gouvernement de l’Alberta est parvenu à geler ses dépenses depuis deux ans, chose qu’il prévoit continuer à faire au cours des deux prochaines années. Ce n’est pas une petite affaire quand on sait que les coûts du système – notamment les salaires des employés de l’État – augmentent constamment, habituellement, avec l’inflation.

Il reste que les finances de l’Alberta sont très étroitement liées aux aléas des énergies fossiles.

Ce lien pose un sérieux problème politique. Les Albertains entrent en colère contre le reste du Canada – et en particulier le Québec – dès que la manne se tarit. Et ils se radicalisent.

Depuis sept ans, ils ont renvoyé le NPD, voté pour que le fédéral abolisse la péréquation, adopté une loi pour la souveraineté de l’Alberta et mis à la tête de la province une première ministre – Danielle Smith – qui épouse des théories complotistes.

Avec les recettes en forte hausse, la colère pourrait s’apaiser. Mais cet apaisement ne durera pas si longtemps.

D’une part, le prix du baril de pétrole WTI a de nouveau reculé sous les 80 $ US ces derniers jours. Et d’ici 10-15 ans, la pression sera très forte pour délaisser les énergies fossiles. Difficile d’imaginer des Albertains heureux d’abandonner la principale source de leurs revenus, qui leur permet de se payer de bons services publics, de gros VUS et des maisons cossues.

En 2019, je comparais les Albertains à la cigale dans la fable de La Fontaine. « Ils ont vécu richement en s’imaginant que les prix obtenus pour leurs ressources non renouvelables seraient éternellement élevés. Ils ont développé les gisements pétroliers sans s’assurer qu’ils auraient des tuyaux pour acheminer le liquide aux clients. Et ils ont cessé de mettre des fonds de côté dans leur Heritage Fund pour se prémunir contre d’éventuels jours plus sombres. »

Avec l’incertitude liée aux prix, les Albertains auraient tout intérêt à s’inspirer davantage de la fourmi que de la cigale dans les prochaines années. Et à cesser d’accuser les autres pour leurs problèmes.

Mais qui sait, il est bien difficile de parier contre les marchés, comme j’ai pu le constater.