Le prix du panier d’épicerie alimente autant les conversations chez nous que de l’autre côté de l’Atlantique. Mais les consommateurs européens ont droit à un coup de pouce qu’on n’observe pas ici. Leurs grandes chaînes de supermarchés multiplient les stratégies pour réduire les factures.

Début juin, Carrefour a lancé le défi anti-inflation en proposant un panier de 30 produits essentiels à 30 euros (40 $). Fin août, l’entreprise a bloqué pour 100 jours les prix de 100 produits essentiels afin de « soutenir le pouvoir d’achat des Français ». Il y a aussi l’opération « prix serrés » : Carrefour s’engage « à réduire ses marges » pour que le prix de 200 produits de marques nationales parmi les plus populaires ne bouge, ou à peu près pas.

Son concurrent E. Leclerc a créé un « bouclier anti-inflation ». Ses clients sont crédités sur une carte à utiliser une prochaine fois lorsqu’ils se procurent certains produits du quotidien dont le prix grimpe. Lidl a offert des coupons donnant 5 % de rabais sur l’ensemble des achats, une fois par mois.

Les épiceries bio Naturalia offrent 10 % de rabais sur toutes leurs courses aux clients qui paient un abonnement à 5,90 euros par mois. « À travers ce dispositif, Naturalia rogne sur sa marge [de profit] pour que cet effort ne pèse pas sur les producteurs », précise sa publicité.

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Il y a aussi des offres ponctuelles qui frappent l’imagination, comme celle d’Auchan qui a vendu le savon à lessive Ariel 1,21 euro, plutôt que 12,09 euros. Une économie de 90 %. Intermarché a plutôt retiré de ses tablettes des produits rendus trop chers, le plus récent exemple étant l’eau embouteillée par Danone (Evian).

Lisez l'article « Des marchands décident de diminuer leurs prix »

Vous aurez compris que ce ne sont pas les idées qui manquent pour séduire les consommateurs étranglés financièrement. Des messages empathiques et des gels de prix ont aussi été annoncés par certaines chaînes aux États-Unis et en Australie.

Pendant ce temps, au Québec, c’est tout le contraire.

Si vous croyez qu’il y a moins de rabais dans nos grandes chaînes de supermarchés, votre sens de l’observation ne vous joue pas de tours.

C’est bel et bien le cas.

La banque de données de NielsenIQ Canada, qui contient les ventes réelles, pour chaque produit, de tous les supermarchés au pays, le confirme. Les promotions se font plus rares, si bien que les consommateurs mettent moins de produits soldés dans leur panier. C’est la première fois qu’une diminution est observée depuis 2008, et ce n’était pas attendu. « C’est une grosse surprise », dit Francis Parisien, vice-président principal des ventes (PME) pour la firme d’analyse de données dans le secteur de la consommation.

Par rapport à l’an dernier, les rabais sont moins nombreux dans six des huit catégories de produits.

Ce n’est pas tout. Les soldes sont aussi moins attrayants que l’an dernier. Leur amplitude a diminué d’environ 10 %.

« Actuellement, aucune enseigne ne nous donne le sentiment de comprendre les consommateurs », observe Luc Dupont, professeur spécialisé en marketing et image de marque à l’Université d’Ottawa.

La méfiance des consommateurs envers les trois grandes chaînes canadiennes – Loblaw (Provigo et Maxi), Sobeys (IGA) et Metro (Super C) – ne devrait étonner personne.

Leurs messages publicitaires font abstraction de la réalité. C’est comme si la hausse de 10,8 % du panier d’épicerie en août n’était pas un enjeu majeur pour leurs clients. C’est comme si les supermarchés n’avaient aucun rôle à jouer, qu’ils n’étaient que des spectateurs impuissants.

Certes, de petits indépendants québécois ont commencé à jouer avec leurs marges pour réduire les prix, comme l’a écrit ma collègue Nathaëlle Morissette, mais cela demeure marginal.

Nos trois géants, qui récoltent 60 % de tous les dollars dépensés en épicerie au pays, doivent aussi se serrer la ceinture temporairement.

Comme l’a écrit sur Twitter l’expert en distribution alimentaire Sylvain Charlebois, de l’Université Dalhousie, « ça fait de bonnes relations publiques, c’est facile et ça montrerait que [les chaînes ont] du cœur ».

Quand une marque prend ton parti avant de penser à ses propres intérêts, ça amène de la loyauté, de la confiance.

Jean-François Ouellet, expert en marketing à HEC Montréal

Et nos supermarchés ont les moyens d’avoir autant d’égards envers leurs clients qu’ailleurs dans le monde.

Il suffit de regarder leurs états financiers pour s’en convaincre. La fermeture des restaurants, au début de la pandémie, a fait bondir les ventes et dans une moindre mesure les profits (les frais d’exploitation ont grimpé). Depuis un an, l’inflation a le même impact positif. Les marges de profit brute et nette, de même que d’autres ratios servant à mesurer la performance, sont stables ou en augmentation depuis des années.

En résumé : les deux dernières années ont été fort lucratives. Les actionnaires le savent, et ils en ont profité. Les clients ont maintenant besoin de mesures audacieuses et inédites pour faire face à une situation exceptionnelle.