Deux endives pour 6,99 $. Un sac de pommes de 4 lb à 8,99 $. Voilà des prix devenus beaucoup trop « gênants » pour Bruno Desrochers, propriétaire du Provigo de Chertsey, dans Lanaudière, qui a tout simplement cessé de tenir ces produits.

Alors que 78 % des Canadiens estiment que les supermarchés ont profité de l’inflation pour augmenter leurs profits, selon un sondage Angus Reid mené au mois d’août, des marchands, devant cette flambée, ont plutôt décidé de jouer avec leurs marges en diminuant leurs prix et même parfois en retirant certains articles des rayons de leur magasin.

« De ne plus tenir certains produits parce que c’est trop cher, je n’avais jamais fait ça avant », admet Bruno Desrochers, marchand affilié indépendant. Comme d’autres propriétaires d’épicerie, il ne s’est jamais prêté à autant d’exercices d’équilibriste avec ses prix que maintenant, une opération qu’il juge délicate. « Il y a des produits pour lesquels j’ai coupé ou baissé la marge. Il y avait une certaine gêne à vendre des produits beaucoup trop cher. Il y en a plusieurs qu’on analyse. »

« Les salades préemballées ont tellement augmenté qu’on a coupé notre marge, donne-t-il en exemple. On fait moins d’argent dans une catégorie, mais on a encore des ventes. » Alors qu’elles étaient 8,99 $ – un prix avec lequel il ne se « sentait pas à l’aise » –, le marchand a décidé de les afficher à 6,99 $. « Et souvent les gens trouvent encore que c’est cher. »

« On n’a jamais vécu des augmentations aussi importantes et aussi fréquentes », ajoute pour sa part Annie Paquette, directrice générale des marchés d’alimentation Pasquier, dont les deux magasins sont situés à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Delson. « Il y a des fournisseurs qui nous envoyaient des listes de prix différentes chaque mois. »

Face à cette nouvelle réalité, l’entreprise ne pouvait se résoudre à hausser les prix aussi fréquemment. Mme Paquette ne se rappelle pas avoir « joué » aussi souvent avec ses marges.

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Annie Paquette, directrice générale des marchés d’alimentation Pasquier

On a dû absorber des augmentations sans augmenter les prix. On doit jouer sur nos marges pour que le consommateur n’ait pas à encaisser toutes les hausses. Mais ça va durer combien de temps ?

Annie Paquette, directrice générale des marchés d’alimentation Pasquier

À Laval, Michel Dépatie, propriétaire du Marché Dépatie, jongle lui aussi « un peu » avec les prix en faveur des clients. « Mais on ne peut pas faire ce qu’on veut, rappelle-t-il. Je n’ai pas le contrôle sur tous mes coûtants en magasin. Je ne me souviens pas d’avoir vécu quelque chose d’aussi intense qu’en ce moment. »

La confiance des consommateurs

À propos des résultats du sondage qui indiquent clairement une perte de confiance des consommateurs envers les supermarchés, les marchands interrogés disent ne pas avoir senti d’animosité de la part de leurs clients. « On est de leur côté, assure M. Desrochers. On leur dit qu’on trouve ça cher, nous aussi. On est de leur avis », dit-il, ajoutant dans la foulée qu’il ne se gêne pas pour révéler aux gens la somme qu’il doit lui-même payer pour offrir certains produits dans son magasin.

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Michel Dépatie, propriétaire du Marché Dépatie

C’est sûr que la clientèle est nerveuse. Les gens se demandent quand ça va arrêter. S’il y a quelqu’un qui s’en met plein les poches, je ne pense pas que ça soit le détaillant. On est en bas de la chaîne.

Michel Dépatie, propriétaire du Marché Dépatie

« Peut-être que le consommateur ne fait pas la différence entre le marchand et l’enseigne », ajoute M. Desrochers.

Les grandes enseignes

La Presse a contacté chacune des cinq grandes enseignes – IGA, Metro, Loblaw (Provigo), Walmart et Costco – afin qu’elles réagissent aux résultats du sondage et qu’elles répondent à la question suivante : profitent-elles vraiment du contexte inflationniste pour gonfler les prix et engranger les profits ?

La réponse a finalement été donnée par le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), regroupement qui représente notamment les grandes enseignes. « L’inflation a touché tous les domaines d’activité et le commerce de détail, c’est là qu’on le remarque davantage parce qu’on fait des achats sur une base régulière, explique Michel Rochette, président pour le Québec du CCCD. Il faut réitérer une chose que les gens ne savent pas : les marges de profit des supermarchés n’ont à peu près pas évolué depuis 2019. »

« Souvent, quand les chiffres des grandes enseignes sont dévoilés, on associe tout aux supermarchés, mais il y a des enseignes qui possèdent également des pharmacies et tout ça, ce sont d’autres sources de revenus », indique-t-il en faisant notamment allusion à Metro, propriétaire de Jean Coutu, et à Loblaw, qui gère Pharmaprix.

M. Rochette ajoute par ailleurs que les chaînes jouent également avec leurs prix pour éviter de trop grandes augmentations. « Tous les commerces le font : des rabais sur les étagères, les prix en circulaire. Il y a toujours eu des guerres de prix. »

Lisez la chronique de Marie-Eve Fournier : « Qu’attendent nos chaînes de supermarchés pour geler les prix ? »