La grande majorité des Québécois est favorable à ce que le français soit la langue officielle et commune au Québec et souhaite également que ce caractère distinctif soit adéquatement promu et protégé. Mais certaines exigences de la loi 96, notamment celle d’apprendre suffisamment la langue française en six mois pour obtenir les services de l’État québécois, hérissent les fondateurs et PDG de bon nombre de nos meilleures entreprises technos.

Pire, selon une quarantaine de PDG qui se sont affichés publiquement dans une lettre ouverte adressée au premier ministre François Legault, l’entrée en vigueur de la loi 96 risque même de causer d’énormes dommages à l’économie québécoise, si on ne met pas un holà à l’exigence pour les nouveaux arrivants de devoir maîtriser le français dans un délai de six mois.

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Les signataires de cette lettre ont bâti des entreprises qui font rayonner le savoir-faire technologique québécois partout dans le monde. On retrouve notamment Louis Têtu, PDG de Coveo, Louis Roy, d’Optel, Germain Lamonde, d’Exfo, Eric Boyko, de Stingray, Madeleine Paquin, de Logistec, ou Charles Boulanger, de LeddarTech.

Fait à souligner, plusieurs de ces entreprises sont établies dans la ville de Québec, où la force d’intégration du français est déjà beaucoup plus importante qu’elle ne l’est à Montréal.

Si Québec ne suspend pas, au moins temporairement, l’application de la clause obligeant l’apprentissage du français en six mois, ces entreprises estiment qu’elles ne seront plus en mesure de recruter les talents essentiels à la poursuite de leurs activités.

Selon le regroupement d’entreprises technos, la nouvelle loi 96 « impose un délai irréaliste, car les nouveaux arrivants doivent jongler avec de multiples défis reliés à leur intégration au sein d’une nouvelle culture et à un changement de vie professionnelle », déplore-t-il.

Cette clause découragera les talents que l’on cherche à recruter à l’extérieur du Québec à venir tenter leur chance ici et les incitera plutôt à considérer des propositions venant d’ailleurs au Canada.

Rendre moins attractif le marché de l’emploi québécois en pleine période de pénurie de main-d’œuvre hautement spécialisée risque donc de pousser nos entreprises technos à poursuivre leur développement à l’extérieur du pays et à l’abri des nouvelles contraintes linguistiques.

Les entrepreneurs technos souhaitent que Québec gèle la clause des six mois, le temps que le gouvernement mette en place la structure du nouveau service Francisation Québec qui est censé les appuyer dans leur démarche auprès de leurs employés recrutés à l’étranger.

Protéger de façon raisonnée

Germain Lamonde, PDG d’Exfo, qui développe et fabrique des systèmes de tests de réseaux pour les grandes entreprises mondiales de télécommunications et dont le siège social est à Québec, se fait très clair.

« Je suis totalement en accord avec les mesures pour protéger le français, mais en période de pénurie de main-d’œuvre, ce n’est pas le temps de mettre des entraves au recrutement de professionnels étrangers spécialisés.

« J’ai des postes à combler au Québec, des postes hautement rémunérés à plus de 100 000 $, mais je ne trouve pas de candidats. Dans le secteur des technologies, il ne se crée plus d’emplois au Québec. On se les vole entre entreprises du secteur », ironise le PDG.

photo erick labbé, archives le soleil

Germain Lamonde, PDG d’Exfo

Oui, les nouveaux arrivants qui choisissent de se joindre à Exfo vont devoir parler le français, mais il faut leur donner le temps d’arriver, de s’adapter et d’apprendre une langue complexe. Un processus d’au moins deux ans, estime Germain Lamonde.

« Depuis bientôt 40 ans, Exfo a versé 2 milliards en salaires au Québec, on a exporté pour plus de 8 milliards de nos produits. On veut poursuivre notre croissance, mais je devrai le faire via nos huit centres de recherche et développement que l’on a en Espagne, en France, en Finlande ou en Inde », déplore le PDG d’Exfo.

Pour sa part, dans une entrevue accordée mardi à mon collègue Maxime Bergeron, le ministre de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, a réagi à la prise de position des entrepreneurs technos.

« Tous les secteurs doivent contribuer à l’effort pour assurer la pérennité de notre langue officielle et commune. La spécificité francophone du Québec est un atout dans le monde des affaires. Nous nous devons de la valoriser », a-t-il réitéré.

Le ministre a aussi souligné que l’entrée en vigueur des dispositions concernant l’exemplarité de l’État est prévue un an après la sanction de la loi, ce qui accorderait donc un sursis d’un an aux entreprises avant d’y être assujetties.

Il n’en reste pas moins que l’intégration et la francisation des travailleurs étrangers se réalisent toujours mieux dans l’accueil et la bienveillance que dans l’imposition de délais rigides et improbables.