On parle beaucoup d’immigration par les temps qui courent, et le débat sur les seuils de nouveaux arrivants que le Québec devrait ou non accueillir compte tenu de sa capacité à bien les intégrer n’a pas fini d’alimenter la discussion tellement les points de vue divergent. Un constat émerge toutefois : la contribution des immigrants à la croissance économique de la grande région de Montréal a été essentielle et même remarquable au cours des 10 dernières années.

Dans une chronique publiée la semaine dernière, je me suis penché sur la forte reprise qu’a enregistrée l’activité économique montréalaise à partir de données récentes colligées par Sylvain Giguère, économiste en chef et responsable du développement économique à la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM).

Lisez la chronique « Montréal retrouve son tonus »

Une statistique de l’étude de M. Giguère m’a particulièrement étonné, et c’est pourquoi j’ai préféré l’isoler pour y revenir plus en détail aujourd’hui, parce que le phénomène mérite qu’on s’y attarde.

Pour la première fois depuis des décennies, le taux d’emploi des immigrants a surpassé en 2021 dans la grande région de Montréal celui des personnes nées au Canada, du jamais-vu.

Si on remonte à 2006, le taux d’emploi des immigrants s’élevait à seulement 53,3 %, alors que celui des personnes nées au Canada atteignait 64,1 %, un écart considérable qui confirmait l’existence de la difficulté réelle que le marché de l’emploi avait à intégrer les nouveaux arrivants.

Je me souviens d’avoir participé à l’époque à plusieurs ateliers sur la situation de l’emploi où on évoquait notamment les grandes difficultés pour les immigrants d’origine maghrébine et des communautés noires à se trouver un travail, alors que les membres de ces communautés affichaient des taux de chômage du double au triple à celui des personnes nées au pays.

En 2021, on assiste à tout un retournement de situation puisque le taux d’emploi des immigrants à Montréal a supplanté celui des « natifs », pour se situer à 62,1 % comparativement à 61,9 %.

Plus encore, les immigrants reçus occupent davantage de postes à temps plein, ce qu’on appelle des postes de qualité, par rapport aux emplois à temps partiel, que les résidents de longue date, et ce, depuis plus de cinq ans maintenant.

« On observe depuis six ans une nette progression du taux d’emplois des immigrants, alors que la population active des gens nés au Canada est en déclin », constate Sylvain Giguère, qui souligne au passage la contribution positive des nouveaux arrivants à la vitalité économique de la grande région de Montréal.

Main-d’œuvre de relève

En fait, n’eût été l’apport des nouveaux arrivants pour soutenir son activité économique, Montréal n’aurait pas été en mesure d’afficher la croissance de son produit intérieur brut (PIB) réel de 24,7 % que la ville a enregistrée au cours des 10 dernières années.

« De 2010 à 2021, il s’est créé au net 267 000 emplois dans la région métropolitaine. Pendant ce temps, la population née au Canada diminuait de 50 000 dans la RMR en raison du vieillissement démographique, et la population immigrante croissait de 267 000. Sans cet apport de l’immigration, la forte croissance aurait été impossible », explique le responsable du développement économique de la CMM.

Cette forte et nécessaire contribution des nouveaux arrivants au dynamisme économique de Montréal est d’ailleurs observable sur le terrain, comme le confirme Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti, dans le quartier Saint-Michel, centre d’accueil et de référencement pour les immigrants.

La Maison d’Haïti a mis sur pied il y a des années un programme d’employabilité pour accompagner dans leurs démarches pour trouver un travail les nouveaux arrivants fraîchement débarqués à Montréal.

« La pénurie de main-d’œuvre se fait sentir ici. On a beaucoup d’appels d’entreprises qui cherchent des travailleurs. On affiche les postes sur notre site.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti

On n’est pas loin du plein-emploi, mais la situation est trop récente pour qu’on puisse en mesurer les effets matériels dans la vie du quartier [Saint-Michel].

Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti

« On observe toutefois des effets négatifs dans la vie des familles monoparentales, où les mères doivent faire des heures supplémentaires et ont moins de temps à consacrer à l’encadrement des enfants », expose Mme Villefranche.

La Maison d’Haïti reçoit chaque jour au moins une vingtaine de migrants qui ont transité par le chemin Roxham et qui ont besoin d’aide pour s’installer à Montréal.

« On les aide dans leurs démarches pour obtenir un permis de travail, mais les délais sont tellement longs que plusieurs sont contraints d’accepter un travail au noir. On tente par tous les moyens de les en dissuader, mais c’est trop long, alors qu’ils pourraient se trouver un travail régulier s’ils obtenaient leur permis », déplore la directrice générale de la Maison d’Haïti.

Avec près de 85 % du total des nouveaux arrivants qui s’établissent chaque année au Québec, on dit souvent que Montréal accapare trop les immigrants et qu’une meilleure distribution de leur nombre permettrait aux entreprises des régions de mieux faire face à la pénurie de main-d’œuvre qui les touche partout sur le territoire québécois.

Ce qui est peut-être vrai, mais visiblement, Montréal a encore une forte capacité à les absorber avec encore des emplois à la clé.