Après deux ans de pandémie, l’effervescence immobilière s’atténue enfin. Mais les propriétés à vendre se font encore très rares, les prix ne cessent de grimper et les taux d’intérêt vont augmenter. Tout cela au moment où l’inflation réduit la capacité des ménages à se constituer une mise de fonds.

Pour les premiers acheteurs, c’est loin d’être évident.

D’ailleurs, 56 % des jeunes de la génération Y (jusqu’à 35 ans) ont décidé de mettre sur la glace leur projet d’acquérir une propriété en raison de la conjoncture, selon un sondage pancanadien de la Banque Scotia dévoilé cette semaine.

De son côté, la Banque Royale nous apprenait que l’idée d’acheter ou d’économiser pour une maison au moment où les prix grimpent est une source de stress pour quatre couples québécois sur dix. Ce n’est pas trop bon pour l’amour…

Mais consolons-nous, notre niveau de sérénité est plus élevé qu’en Ontario et en Colombie-Britannique, où la moitié des amoureux angoissent. Il faut dire qu’à Toronto et à Vancouver, le prix moyen des unifamiliales a dépassé le cap des 2 millions. Et celui des condos est supérieur à 800 000 $.

La valeur de nos propriétés est encore loin de ces sommets qui font frémir. Mais les prix grimpent sans arrêt.

Résultat, accumuler la mise de fonds requise est devenu une épreuve digne des Jeux olympiques pour bien des couples. Chéri, il faut épargner aussi vite que le prix des maisons monte ! C’est essoufflant !

Et ce, même quand le but est d’accumuler le strict minimum, soit 5 % pour les propriétés de 500 000 $ ou moins, et 10 % pour la portion du prix entre 500 000 $ et 999 999 $. Ce n’est pas pour rien qu’Ottawa crée le CELIAPP, un compte d’épargne destiné à aider les premiers acheteurs.

20 % en voie de disparition

S’il fut un temps où les nouveaux propriétaires tenaient mordicus à détenir 20 % de mise de fonds pour éviter l’assurance hypothécaire, la hausse des prix chamboule les mentalités. « Ce qu’on voit, c’est des milléniaux qui mettent des pourcentages de plus en plus faibles, relate Damien Charbonneau, cofondateur et chef des opérations du cabinet de courtage hypothécaire nesto. Parce que 20 % de 800 000 $, c’est beaucoup d’argent ! »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Damien Charbonneau, cofondateur et chef des opérations du cabinet de courtage hypothécaire nesto

Au premier trimestre de 2021, 44 % des acheteurs ayant eu recours aux services de nesto avaient une mise de fonds inférieure à 20 %. Un an plus tard, la proportion avait grimpé à 56 %.

Et cela, même si les nouveaux acheteurs sont beaucoup plus nombreux depuis deux ans à être aidés financièrement par leurs parents. Conseiller en prêts hypothécaires à la Banque Royale, Pascal Berger estime que 25 % de sa clientèle a reçu un don.

5 % pour des raisons stratégiques

Certes, ne débourser que 5 % se répercute sur les paiements mensuels, comme le montre ce graphique.

Mais l’idée n’est pas seulement désavantageuse.

Elle permet notamment d’entrer dans le marché au plus vite. Et c’est la chose à faire, comme l’a dit le gourou de l’immobilier Gilles Ouellet à mon collègue André Dubuc il y a quelques jours. Car « les prix démesurés de Toronto et Vancouver risquent de devenir la norme à Montréal ».

Lisez le texte « Acheter maintenant ou payer plus cher ? »

Damien Charbonneau est du même avis. « Quand tu attends d’avoir 20 %, le prix des propriétés augmente tellement que ton épargne ne suit pas. Il te faut 20 % de 300 000 $, puis de 400 000 $, de 500 000 $… »

L’avantage n’est peut-être pas énorme, mais avec une mise de fonds de 5 %, on se retrouve avec un meilleur taux d’intérêt. C’est contre-intuitif, mais les banques accordent un rabais quand le prêt est assuré (par la SCHL, Sagen ou Canada Guaranty), donc moins risqué.

Ne débourser que la mise de fonds minimum est parfois un choix réfléchi de la part de personnes qui pourraient verser davantage.

De nouveaux propriétaires veulent conserver une marge de manœuvre financière pour rénover. « Quand on regarde ce qui est disponible sur le marché, ça a besoin d’amour. On comprend cette décision des ménages à l’heure actuelle de se laisser des liquidités », dit Marc-André Blanchette, conseiller principal aux communications de Multi-Prêts Hypothèques.

D’autres ont sorti leur calculatrice. Avec les taux d’emprunt actuels, certains acheteurs ne voient pas pourquoi ils verseraient 20 % sur-le-champ alors qu’ils pourraient faire travailler cet actif ailleurs, en Bourse, par exemple. En cinq ans, les 75 000 $ de l’exemple ci-dessus généreraient plus de 21 000 $ en supposant un rendement composé de 5 %.

Les faibles taux d’intérêt des dernières années ont fait en sorte que les mises de fonds faméliques avaient assez peu d’impact sur les paiements mensuels. Mais ça ne durera pas. « Avec des taux d’intérêt plus élevés, les gens vont faire un plus grand effort, peut-être en retirant un CELI », prédit Pascal Berger, de la Banque Royale.

Quoi qu’il en soit, Damien Charbonneau est catégorique : « Il n’y a pas de honte à mettre juste 5 % ! » Pour autant, bien sûr, qu’on soit ensuite capable de faire tous ses paiements à temps.

Les menaces de saisie par la banque, ça provoque aussi beaucoup de stress dans un couple.

Lisez la chronique « Le meilleur ami des futurs premiers acheteurs s’appelle désormais CELIAPP »