De l’avis des experts, le gouvernement fédéral a fait le bon choix en décidant d’engager des négociations finales avec la multinationale Lockheed Martin en vue de l’achat de 88 avions de chasse F-35. Ces pourparlers devront toutefois générer des retombées économiques conséquentes pour l’industrie aéronautique québécoise, au moins équivalentes à l'importante place qu’elle occupe dans l’écosystème canadien.

Enfin, le dossier de la flotte d’avions de chasse vétustes F-18 semble en voie de se régler. Remarquez, on pensait la même chose en 2010 lorsque Stephen Harper a passé une première commande à Lockheed Martin pour l’acquisition de 65 chasseurs F-35, commande qui a été annulée en 2012 en raison du grand flou entourant les coûts réels de l’opération.

Douze ans plus tard, avec une flotte de F-18 à l’agonie, dont une partie vient d’être remplacée sur le marché de la brocante, Ottawa semble cette fois bien décidé à aller de l’avant. Il souhaite clore le dossier d’ici la fin de l’année et prendre livraison d’un premier chasseur F-35 en 2025.

Selon les experts militaires, le F-35 est le type d’appareil que le Canada doit acquérir. Il s’agit d’un avion furtif, indétectable par les radars, un appareil construit sur une plateforme technologique de dernière génération, contrairement aux F-18 Super Hornet de Boeing, la dernière mouture d’une famille d’avions vieillissante.

On sait que Boeing, le constructeur des F-18, s’est fait déclasser de l’appel d’offres du gouvernement fédéral parce qu’Ottawa estimait que sa proposition ne prévoyait pas de retombées industrielles suffisantes pour le Canada. Ottawa n’avait pas aimé non plus que Boeing cherche en 2017 à imposer des droits compensateurs de 290 % sur les avions de la C Series de Bombardier…

Il tombait aussi sous le sens qu’Ottawa préfère les F-35 aux avions Gripen de la suédoise Saab, puisque les chasseurs furtifs composent l’essentiel de la flotte d’appareils de l’armée américaine et de celle de plusieurs pays membres de l’OTAN.

Cela étant dit, au-delà de la négociation qu’il reste à conclure sur le prix d’acquisition final de 19 milliards US qu’Ottawa souhaite payer pour les 88 F-35, Lockheed Martin et le gouvernement fédéral doivent aussi s’entendre sur les retombées économiques et les fournisseurs canadiens qui profiteront de ces contrats à long terme.

Parce qu’on peut présumer que les coûts de révision, d’entretien et de réparation des chasseurs pour leur durée de vie avoisineront ceux de leur acquisition, soit plus de 16 milliards.

De rares partenaires québécois

L’attrait du F-35 ne date pas d’hier, puisque le gouvernement de Jean Chrétien avait décidé d’y contribuer financièrement dès 1997 en injectant 500 millions dans son programme de développement. Y a notamment participé l’entreprise québécoise Héroux-Devtek, qui a conçu les portes de verrouillage des trains d’atterrissage qu’elle fabrique depuis les débuts du programme.

Mis à part Héroux-Devtek, on ne retrouve pas beaucoup d’autres entreprises du secteur aéronautique québécois parmi les partenaires du programme des F-35. Pratt & Whitney a produit un composant du moteur des chasseurs.

Quelques entreprises canadiennes sont également impliquées, notamment Avcorp, en Colombie-Britannique, pour la fabrication des ailes pliantes, ou l’ontarienne Magellan Aerospace, qui manufacture des pièces pour le fuselage et les ailes.

Plusieurs entreprises du secteur aéronautique du Québec sont par ailleurs à risque. C’est notamment le cas de CAE, qui fabrique les simulateurs de vol et les programmes de formation pour les F-18, ou L3Harris, qui s’occupe de l’entretien et de la réparation de la flotte qui sera remplacée à son usine de Mirabel.

L3Harris tout comme CAE étaient des partenaires de Boeing dans l’appel d’offres pour le remplacement des vieux F-18. Est-ce qu’ils pourraient devenir les prochains partenaires de Lockheed Martin pour le nouveau programme des F-35 ?

L’entretien, la réparation et la révision de la flotte de F-35 seront au centre des retombées à venir du nouveau contrat. Quand on sait qu’il en coûte plus de 30 000 $ US d’entretien pour chaque heure de vol de ces chasseurs sophistiqués, on comprend mieux toute l’ampleur de cet enjeu.

On se rappellera que lorsque le gouvernement conservateur de Brian Mulroney a accordé le contrat d’entretien des nouveaux CF-18 à Canadair en 1986, cela avait soulevé toute une commotion dans l’Ouest canadien, où l’entreprise Bristol de Winnipeg voulait aussi obtenir ce fabuleux contrat estimé à 1,8 milliard… à l’époque.

Ottawa devra au cours des prochains mois s’assurer d’obtenir le plus de retombées économiques de son investissement de 19 milliards dans les nouveaux F-35, mais devra aussi s’assurer que ces retombées ne soient pas furtives pour le Québec.

Il faudra des retombées bien réelles qui reflètent la place de 50 % que le Québec occupe dans toute la production de l’industrie aéronautique canadienne, rien de moins.