La réaction de la ministre Chantal Rouleau au rapport dévastateur sur le REM de l’Est me fait penser à celles des dirigeants politiques de la Turquie et de la Grèce.

Il y a 10 jours, le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a mis à la porte le chef de l’Office national des statistiques – l’équivalent de Statistique Canada. Pourquoi ? Parce que son haut fonctionnaire a osé publier les vrais chiffres sur l’inflation monstre de ce pays, de 36 %. Les données ne faisaient pas l’affaire du président turc, qui a promis de maîtriser l’inflation.

Même histoire en Grèce, au début des années 2010 : le statisticien en chef a été remercié puis poursuivi au criminel pour avoir publié le vrai déficit du gouvernement grec, qui était maquillé depuis des années. Les tribunaux ont finalement gracié le patron des statistiques sur toute la ligne.

Quel est le lien avec le rapport sur le REM de l’Est, dont les conclusions ont été rendues publiques par mon collègue Tommy Chouinard ?

Eh bien voilà, l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui a produit le rapport, se fait traîner dans la boue par la ministre pour avoir osé écrire ce qui saute aux yeux de bien des observateurs depuis longtemps : le projet coûte beaucoup trop cher pour le faible nombre de nouveaux usagers qu’il attirera.

Il faut savoir que l’ARTM a été créée en 2017 pour dépolitiser la planification du transport collectif dans la région de Montréal. Ses experts donnent des avis sur les projets de transport dans un contexte de développement durable.

Et que dit Chantal Rouleau, députée de Pointe-aux-Trembles ? Que le rapport de l’ARTM n’a pas été conçu sur une « base honnête ». Qu’il a été produit avec des « éléments biaisés ». Et que l’ARTM « doit refaire ses devoirs »… ce qui laisse entendre qu’elle sera satisfaite seulement lorsque l’organisme conclura que le REM de l’Est est un bon et beau projet. Eh bien !

La réaction de la ministre, et même de François Legault, est d’autant plus étonnante que, l’an dernier, le gouvernement a justement rejeté le plan stratégique de l’ARTM parce qu’il n’était pas assez tranchant, n’établissant pas de priorités dans une liste de projets totalisant 57 milliards.

La ministre Rouleau reproche à l’ARTM de s’appuyer entre autres sur une enquête Origine Destination qui date de 2013 pour son rapport. Or, le choix de l’ARTM s’explique par le fait que l’enquête semblable la plus récente – celle de 2018 – n’a pas encore donné lieu à des projections à long terme, comme celle de 2013. L’organisme a pris les meilleures données disponibles quand il a commencé à faire l’analyse du projet pour son rapport, en février 2021.

Les projections à long terme du ministère des Transports sont attendues dans les prochains mois, vraisemblablement, mais au regard des données de base de l’enquête de 2018, l’ARTM n’a pas trouvé d’éléments majeurs qui changent les tendances.

Et encore, c’est en supposant que les prévisions d’achalandage ne soient pas chamboulées par les habitudes de télétravail issues de la pandémie, qui risquent au contraire de réduire significativement le nombre d’usagers.

Le rapport, dont j’ai obtenu copie, est effectivement dévastateur. Non seulement le REM de l’Est pose des défis d’intégration, avec ses structures aériennes, mais en plus, il ne répond que très partiellement aux besoins de déplacement actuels et futurs des secteurs visés, soit l’est de Montréal et de la couronne nord-est.

Selon le rapport, le train léger attirera très peu de nouveaux usagers, et l’essentiel de son achalandage (94 %) viendra du réseau actuel, notamment de la ligne verte et du train de Mascouche, qui en subiront de lourdes conséquences financières.

L’ARTM sous-estime les coûts

L’ARTM estime que le projet entraînera de nouvelles dépenses annuelles de 254 millions pour le gouvernement du Québec (156 millions) et les municipalités de la région (98 millions). Cette somme s’ajouterait bien sûr à l’investissement de départ (plus de 10 milliards), provenant de la Caisse de dépôt et placement et du gouvernement du Québec.

Et si je peux me permettre, moi qui ai passé au peigne fin les finances du REM, je suis d’avis que l’ARTM sous-estime nettement la facture annuelle avec ses 254 millions.

Pourquoi ? Parce que pour faire ses calculs, l’ARTM s’en est remise au tarif de 72 cents le passager-kilomètre que facture la Caisse de dépôt pour dégager des profits avec le fonctionnement du REM de l’Ouest. Or, le REM de l’Est, construit en milieu urbain, coûte environ trois fois plus cher par kilomètre et il servira à alimenter un achalandage deux fois moindre.

Bref, avec de tels paramètres, le tarif par passager-kilomètre risque d’être beaucoup plus important que 72 cents et la facture annuelle, bien plus élevée que les 254 millions estimés par l’ARTM.

La Société de transport de Montréal (STM) est aussi très critique envers le projet (voir l’article de Philippe Teisceira-Lessard). Tout est en place, donc, pour des modifications majeures du REM de l’Est, ou encore pour son abandon pur est simple.

C’est dommage pour l’est de l’île de Montréal, un territoire qui a effectivement manqué d’amour, Chantal Rouleau a raison là-dessus. Mais avec les 10 ou 15 milliards économisés, il y a sûrement moyen de trouver d’autres options intéressantes, comme le suggère l’ARTM.

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