Mes patrons m’ont tous posé la même question : Francis, ce projet sera-t-il rentable ?

Il s’agit d’une question à 10 milliards, si l’on se fie aux prévisions de la Caisse de dépôt et placement. Ou probablement plus à 15 milliards, si vous voulez mon avis.

Dans le cas de l’actuel Réseau express métropolitain (REM) en construction, la facture initiale de 5,5 milliards en 2016 est passée à 6,5 milliards et même à 7,8 milliards, si l’on inclut les à-côtés qui sont assumés par les gouvernements plutôt que par la Caisse.

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Le REM de l’est de Montréal

En reportant cet écart de 42 % sur celui du nouveau projet, on approche les 15 milliards. Ce ne serait guère surprenant, sachant que les dépassements de coûts pour ce genre de mégaprojets dans le monde avoisinent, justement, les 45 %.

Mardi, les dirigeants de la Caisse ont d’ailleurs bien expliqué que le réaménagement des abords du trajet — donc au-delà des 10 milliards — serait aux frais des gouvernements. À ce sujet, la mairesse Valérie Plante a tendu une perche à François Legault, affirmant que Montréal ne pourrait assumer seul la facture.

Ce projet de 15 milliards, donc, sera-t-il rentable ? Il y a essentiellement trois angles pour répondre à cette question : la rentabilité commerciale, la rentabilité environnementale et, enfin, la rentabilité économique.

D’abord, un rappel cruel, mais essentiel : les projets de transports en commun ne sont jamais rentables commercialement, dans le sens où ils ne s’autofinancent pas avec les contributions des usagers. Ils sont des projets publics dont le coût et les bénéfices sont répartis entre les usagers et la population en général.

Ce sera encore plus vrai pour ce tronçon de l’Est. Le REM 2.0 traversera un secteur urbain densément peuplé, ce qui exigera un investissement plus important que le REM actuellement en construction. De fait, à 10 milliards, le projet équivaut à 312 millions de dollars par kilomètre, soit environ le triple du REM 1.0.

Et cette facture, elle servira à alimenter un achalandage deux fois moindre que le REM 1.0, soit 133 000 passagers par jour, sans qu’on sache quelle part serait constituée de nouveaux usagers (1). Ce n’est pas pour rien que les trains auront deux wagons plutôt que les trois du REM actuel.

Charles Emond, PDG de la Caisse de dépôt, prévoit que le projet sera rentable pour l’institution, c’est-à-dire qu’il rapportera annuellement davantage qu’il coûtera à la Caisse, à long terme. Mais cette rentabilité, faut-il comprendre, dépendra de ce que l’État consentira à verser à l’institution pour chaque passager.

Pour le REM 1.0, la Caisse est parvenue à négocier l’obtention de 72 cents pour chaque kilomètre parcouru par un passager, ce qui lui permettra de faire un rendement de 7 à 8 % sur son investissement de 3 à 3,5 milliards.

Or, il en faudra bien plus pour rentabiliser le nouvel investissement, qui devrait être 50 % plus gros pour la Caisse, à environ 5 milliards, avec un achalandage deux fois moindre (2).

Et ce sont les villes de la région et les gouvernements — donc les contribuables — qui paieront la facture annuelle d’exploitation chaque année, qui se calculera en centaines de millions.

Rentable pour l’environnement ? Euh, oui, le transport collectif est l’une des solutions aux problèmes de réchauffement de la planète. Difficile de ne pas applaudir.

Sauf que le REM de l’Est permettra de réduire les gaz à effet de serre (GES) de 35 000 tonnes par année, selon la Caisse, ce qui équivaut à retirer environ 12 500 voitures des routes. Ce volume, c’est 0,25 % du parc automobile actuel ou encore 0,14 % de notre objectif québécois de réduction des GES d’ici 2030.

Alors, oui, ce REM 2.0 ne nuira pas, mais sa contribution à notre objectif commun sera somme toute très faible et donc très coûteuse. En comparaison, si Hydro-Québec parvient à sceller son mégacontrat hydroélectrique avec la Nouvelle-Angleterre, les GES seront réduits 200 fois plus (environ 1 million de voitures).

Rentable pour l’économie ? Pour en juger, on peut parler de la moyenne de 9000 employés directs et indirects que le REM 2.0 occupera annuellement entre le début des travaux, en 2023, et la circulation des premiers trains, en 2029. Ou encore de l’augmentation du produit intérieur brut qu’il engendrera, de 6 milliards de dollars.

Mais il faut surtout voir ce projet — et l’intégration fantastique du réseau de transport qu’il promet — comme un aimant pour attirer l’immigration et les investissements étrangers à Montréal, en particulier pour l’Est, qui en a bien besoin.

Cet impact économique est probablement le plus grand atout du projet. Nul doute que ce dernier tronçon est le plus cher — avec l’allongement de la ligne bleue (750 millions par kilomètre) —, mais il accroîtra l’attrait déjà grand de Montréal sur la planète.

Il faudra cependant être très patient. Les premiers fruits apparaîtront à partir de 2029, voire 2044. Il faut donc voir cet investissement comme un projet économiquement rentable à très long terme. Sur 100 ans, disons. La bonne nouvelle, si l’on peut dire, c’est qu’une part sera détenue par notre bas de laine collectif.

(1) En fait, la mesure pertinente d’achalandage est le nombre de kilomètres annuels que parcourront les passagers. Pour le REM de l’Est, c’est 380 millions de passagers-kilomètres en 2044, selon la Caisse, comparativement à environ 700 millions en 2031 pour l’actuel REM en construction. Un passager-kilomètre est un passager qui parcourt 1 km.

(2) C’est le premier ministre François Legault qui a estimé en conférence de presse que la Caisse injecterait la moitié du total de 10 milliards du projet, soit 5 milliards.