Les Montréalais tiennent-ils mordicus à avoir un train léger entre l’est et le centre-ville ? Si oui, ils devront se résigner à accepter une structure aérienne qui viendra enlaidir le centre-ville. C’est ça ou rien du tout.

C’est ce que vient de redire CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, dans sa mise à jour du projet de Réseau express métropolitain (REM) de l’Est.

Pas dans ces termes, bien sûr. Et avec une solution moins dommageable : la structure aérienne sur René-Lévesque émergerait vers l’est à partir du Complexe Desjardins, près de Saint-Laurent, ce qui éviterait de prolonger la cicatrice devant la Place Ville Marie, plus à l’ouest.

Et bien franchement, je me range aux arguments du promoteur. Si l’on veut enfin desservir efficacement l’est de l’île et le nord-est, il faudra sacrifier une partie du centre-ville, malheureusement. Mais à mon avis, la question qu’on doit plutôt se poser, dans le contexte, c’est : ce projet est-il vraiment souhaitable ? J’y reviens.

Appuyé par deux études sérieuses, la Caisse de dépôt démontre qu’un long tunnel enfoui sous le centre-ville n’est pas faisable techniquement ou encore qu’il est trop risqué pour être envisagé.

Dans la plupart des six scénarios analysés, un tunnel se buterait à de vieux égouts en brique instables datant de 1872, à deux lignes de métro transversales, à une nappe phréatique de près de 2 km et à un environnement rocheux erratique de l’ère glaciaire. C’est sans compter qu’il faudrait soumettre le tunnelier à des conditions de forage difficiles (zones mixtes de roc et de sols), au rendement incertain.

Bref, les obstacles sont réels, documentés, costauds.

Cela dit, il existe bien un scénario d’un long tunnel jugé techniquement « réalisable » selon les deux études, ce que la Caisse a évité de crier sur tous les toits. Mais ce tunnel de 4,5 km de long devrait être construit en dessous de la profonde ligne jaune (qui vient de Longueuil), dont la moitié dans des conditions de risque élevé, comme peuvent en juger les lecteurs en parcourant les deux études rendues publiques par la Caisse.

Le patron de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud, affirme qu’aucun entrepreneur ne s’engagerait à assumer les risques d’une telle aventure et ne pourrait garantir ni l’échéancier ni les coûts. « Le budget serait incontrôlable et ce serait irresponsable de recommander une telle option », a-t-il dit à La Presse, même si la Caisse devait se retirer du dossier pour le laisser entre les mains d’un tiers, comme au gouvernement du Québec.

Oui, mais les réseaux souterrains de Paris, de Vancouver ? Ils n’ont pas du tout le même environnement géologique, explique-t-il. « À Vancouver, c’est a walk in the park ».

Un long tunnel est bien faisable, donc. Mais oubliez le budget de 10 milliards, faut-il comprendre, qui est déjà sous-estimé, si vous voulez mon avis. Pensez plutôt à, quoi, 15 milliards, 18 milliards ? Sans compter les risques d’affaissement sous les lignes du Canadien Pacifique.

La Caisse ne s’engagera pas dans cette voie incertaine, et les Québécois, pour peu qu’ils réalisent que leurs rêves se traduisent en vrais dollars de dettes, ne devraient pas le faire non plus.

Face au tollé sur la structure aérienne – mis en relief avec brio par mon collègue Maxime Bergeron –, CDPQ Infra a visiblement refait ses devoirs. Et elle propose maintenant celle détaillée par la firme d’ingénieurs Geocontrol, soit un tunnel de 500 mètres qui épargne le secteur de René-Lévesque à l’ouest de Saint-Laurent, essentiellement.

Je ne suis ni urbaniste ni architecte. Et je comprends les détracteurs de la cicatrice aérienne, bien que la Caisse promette d’en faire un bijou architectural d’intégration. Mais soyons francs : le boulevard René-Lévesque Est, aux abords du pont Jacques-Cartier, est loin d’être un chef-d’œuvre urbanistique, à préserver coûte que coûte.

Et avec le nouveau court tunnel de la Caisse, le vrai sacrifice pour relier l’est au centre-ville dans un tel tracé, à mon humble avis, il se fera entre les rues Jeanne-Mance à l’ouest et Papineau à l’est. C’est une distance de deux kilomètres.

Cela dit, la vraie question à se poser, c’est si ce projet est souhaitable. Doit-on mettre autant d’argent dans un train qui ne parviendra à attirer que 133 000 usagers par jour, dont une grande partie viendra des autres réseaux, par cannibalisation ? Et sachant qu’en plus des 10 à 15 milliards d’investissements directs et indirects, il faudra payer chaque année les énormes frais d’exploitation du REM, incluant le rendement de la Caisse.

Surtout, doit-on aller de l’avant comme si la COVID-19 n’avait jamais existé ? Comme si on s’attendait à ce que les usagers du transport collectif et les automobilistes recommencent à fréquenter le centre-ville en si grand nombre une fois permis le « présentiel » au bureau ?

Qui croit qu’il y aura un retour en arrière maintenant que les nombreux cols blancs du centre-ville – publics et privés – ont goûté au travail à la maison et que les employeurs ont accepté qu’ils poursuivent l’expérience une journée sur deux ? Et conséquemment, comment l’achalandage du REM pourrait-il être suffisant, désormais ?

En juin, Jean-Marc Arbaud me disait qu’un recul de 20 % de l’achalandage prévu serait problématique pour la rentabilité, tant pour le REM 1.0 que pour le REM 2.0. Dans le contexte, je suis d’avis qu’il faut attendre les résultats du REM 1.0, d’ici trois ans, avant de se lancer dans une nouvelle aventure avec notre bas de laine collectif.