Assailli sur de nombreux fronts commerciaux durant le règne chaotique de Donald Trump, le Canada continue d’être malmené par l’administration Biden et menace maintenant de riposter aux subventions pour l’achat de véhicules électriques américains et aux nouveaux droits compensateurs sur le bois d’œuvre canadien. Même Boeing semble être devenu la nouvelle proie de l’implacable Hulk commercial qu’est devenu le Canada.

Le passage de Donald Trump n’a pas été de tout repos pour le gouvernement de Justin Trudeau. Non content d’imposer des droits punitifs sur les exportations d’acier et d’aluminium, l’ex-président populiste a forcé la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain et contraint le Canada à adopter à son tour des contre-mesures punitives dans les dossiers de l’acier et de l’aluminium.

C’est aussi dans ce contexte belliqueux que le Canada a adopté la clause Boeing en réponse aux droits compensateurs de plus de 300 % que venait d’exiger en septembre 2017 le département du Commerce américain à l’endroit d’une commande de 75 avions de la C Series de Bombardier à Delta Air Lines.

Boeing s’était plaint au gouvernement américain que Bombardier vendait ses appareils à un prix inférieur à ses coûts de production et que l’avionneur montréalais profitait de subventions indues en raison de la participation du gouvernement québécois au programme de la C Series et de celle de la Caisse de dépôt dans Bombardier Transport.

Le gouvernement fédéral, qui avait eu jusque-là tendance à faire le dos rond face aux salves disproportionnellement belliqueuses de ses partenaires commerciaux, avait prestement réagi en annulant une commande de 18 avions Super Hornet, au prix de 6 milliards, qu’elle avait passée quelques mois plus tôt sans appel d’offres à Boeing.

Le message était on ne peut plus clair : on n’attaque plus une entreprise canadienne sans en subir des contrecoups immédiats.

La clause Boeing prévoyait également que le comportement commercial d’une entreprise allait être pris en compte lors de sa participation dans un appel d’offres du gouvernement canadien.

Or, le couperet semble être tombé sur la tête de Boeing. La nouvelle n’a pas été encore officiellement confirmée, mais Ottawa aurait fait savoir au constructeur américain, selon trois sources de l’industrie et du gouvernement, que sa soumission en vue de remplacer la flotte de chasseurs CF-18 n’avait pas été retenue.

L’appel d’offres pour l’achat des nouveaux chasseurs de l’armée canadienne avait suscité au départ la candidature de cinq constructeurs : Boeing et son Super Hornet, Lockheed Martin et son F-35, Dassault et son Rafale, EADS et son Eurofighter, ainsi que Saab et son Gripen.

Les groupes Dassault et EADS se sont retirés de la course en prétextant que le gouvernement canadien avait déjà décidé de favoriser un constructeur américain. Avec le retrait attendu de Boeing, il ne reste plus que le groupe suédois Saab et son chasseur Gripen en lice contre le F-35 de Lockheed Martin.

La voie libre pour le F-35

Officiellement, le gouvernement canadien aurait fait savoir à Boeing que la nouvelle génération de F-18 Super Hornet ne répondait pas aux exigences de l’appel d’offres. On parle pourtant ici d’une version améliorée des F-18 qu’utilise l’armée canadienne depuis 40 ans.

À l’automne 2016, le gouvernement libéral avait même décidé d’acheter 18 appareils Super Hornet pour renforcer une partie de sa flotte vétuste de F-18, une commande intérimaire qui laissait présager que la totalité du contrat de remplacement des 77 appareils de l’Aviation royale canadienne serait remportée par Boeing.

La décision d’Ottawa ouvrirait plutôt la voie à l’acquisition de chasseurs furtifs F-35 de Lockheed Martin, une entreprise avec laquelle le Canada collabore depuis 20 ans au développement du nouvel appareil. L’option du Gripen de Saab ne semble plus être là que pour la forme.

C’est le gouvernement de Jean Chrétien, en 1997, qui a été le premier à s’engager dans un partenariat pour développer le chasseur de cinquième génération. Depuis 20 ans, le gouvernement fédéral a investi 750 millions dans le programme du F-35, ce qui a permis à des dizaines d’entreprises canadiennes de l’aéronautique de décrocher pour 2 milliards de dollars de contrats. On anticipe des retombées additionnelles de 10 milliards au cours des 25 prochaines années pour ces entreprises sous-traitantes de Lockheed.

« Même si l’avion est imparfait et qu’il y a encore des enjeux de fiabilité à régler, le F-35 reste le choix le plus logique pour le type de missions que le Canada veut réaliser. Il assure une plus grande intégration avec la flotte américaine et plus de retombées à long terme pour les entreprises canadiennes », observe Mehran Ebrahimi, professeur au département de management et technologie de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

Au moment de son élection en 2015, le gouvernement Trudeau ne voulait rien savoir du F-35 et semblait nettement privilégier l’acquisition des Super Hornet de Boeing, mais l’accumulation de représailles commerciales et celles lancées par Boeing elle-même ont transformé la docilité apparente du Canada en hostilité bien assumée.