D’un côté, j’ai une société d’État qui dit avoir nettement dépassé son objectif de services aux citoyens. De l’autre, j’ai un relevé qui démontre qu’au contraire, cette société d’État sert un nombre sans cesse décroissant de ménages. Comment est-ce possible ?

Dans le dossier du logement social, je vous ai expliqué à quel point il est difficile de savoir combien nos fonds publics financent de logements sociaux au juste.

Relisez la chronique Logement social : 1 milliard de fonds dans le flou

Aujourd’hui, je vous démontre comment ces imprécisions permettent à la Société d’habitation du Québec (SHQ) d’affirmer qu’elle a augmenté son offre ces dernières années, alors que dans les faits, le nombre de ménages aidés annuellement a reculé.

Dans son plan stratégique 2017-2021, la SHQ s’était fixé comme objectif d’accroître « de 25 % la proportion de nouveaux ménages aidés ». Quatre ans plus tard, le rapport annuel 2021 nous apprend que cet objectif a été largement dépassé, avec un bond sur quatre ans de 50 % plutôt que 25 % !

Wow, pourrait-on conclure, notre SHQ aide un nombre croissant de ménages moins nantis à se loger convenablement.

Dans les faits, le portrait est bien différent. Selon les données mêmes de la SHQ, 213 150 ménages distincts ont été aidés par la société d’État en 2021, ce qui représente une baisse de quelque 18 000 – ou 8 % – sur les 231 120 ménages de 20 171.

Et même, en remontant dans le temps, on constate que jamais la SHQ n’a aidé aussi peu de ménages dans une année donnée depuis au moins 10 ans (les chiffres avant sont difficilement comparables).

Comment peut-on affirmer que l’offre a augmenté de 50 % alors que les données montrent une baisse de 8 % ?

C’est que la SHQ utilise un indicateur particulier pour mesurer sa performance. Elle ne calcule pas la croissance du nombre de logements sociaux d’une année à l’autre ou, autrement dit, l’évolution du parc de logements. Elle additionne plutôt les nouveaux ménages qui ont bénéficié d’une aide quelconque, qu’elle soit ponctuelle pour une année donnée ou permanente (sur plusieurs années).

Ainsi, au nombre de bénéficiaires de l’année 2017, la SHQ a additionné les ménages qui, en 2018, ont touché une subvention ponctuelle pour rénover leur logement. En 2019, de nouveaux ménages ont touché de nouvelles subventions pour retaper leur logement, qui ont été additionnés à ceux de 2018. Et ainsi de suite.

Forcément, le nombre de ménages aidés ne peut qu’augmenter. Entre 2017 et 2021, 7700 ménages ont ainsi reçu de telles subventions chaque année, en moyenne, pour un total avoisinant les 31 000 sur quatre ans.

Ces 31 000 représentent plus du quart de la hausse de 115 050 nouveaux ménages aidés entre 2017 et 2021, indique la SHQ. Ce chiffre de 115 050 équivaut à 50 % des 231 120 ménages aidés en 2017, d’où le bond de 50 %, indiqué dans le rapport annuel.

Ce n’est pas tout. La portion restante des 115 050 nouveaux ménages aidés sur quatre ans – les trois autres quarts – soulève aussi des questions. Il s’agit des ménages qui reçoivent une aide qu’on peut considérer comme permanente, sur plusieurs années, par exemple l’octroi d’un HLM ou d’une subvention pour permettre de ne pas payer plus de 25 % de son revenu pour se loger.

Or voilà, il y a un roulement dans ces ménages. Certains ont amélioré leur sort et n’ont plus besoin d’aide. Surtout, d’autres meurent et libèrent des HLM (ou des attributions de supplément de loyer). D’ailleurs, plus de la moitié de ces bénéficiaires « permanents » sont des personnes âgées, selon le rapport de la SHQ, qui finissent par mourir.

Les ménages qui remplacent les anciens – décédés ou autres – sont considérés comme de nouveaux ménages aidés, selon ce qu’on peut comprendre des chiffres de la SHQ. Et l’organisme juge que ce roulement doit être considéré dans sa bonne performance de 50 %.

Dans les faits, la SHQ a parfois échoué dans sa mission et parfois réussi. Par exemple, les bénéficiaires du programme Allocation logement – qui offre jusqu’à 960 $ par année à certains locataires démunis – ont fortement diminué depuis quatre ans, passant de quelque 101 900 en 2017 à 71 500 en 2021. Dit autrement, quelque 30 000 ménages dans le besoin, qui gagnent souvent moins de 18 000 $ par année, n’ont pas réclamé les 960 $ auxquels ils devraient avoir droit.

Comment expliquer cette baisse ? Difficile à savoir. La SHQ n’a pas répondu à mes questions à ce sujet depuis… trois semaines. Selon mes recherches, ce recul ne s’explique pas par un resserrement des règles du programme, mais probablement par un manque de publicités pour le faire connaître ou encore par sa complexité pour une clientèle pas toujours apte à naviguer dans la paperasse gouvernementale. Ou est-ce le manque de fonds ?

Autre échec de la SHQ, cette fois reconnu dans son rapport de 2021 : le nombre de HLM remis en bon état. En 2017, la société d’État planifiait retaper 100 % des 1426 immeubles HLM jugés en mauvais ou très mauvais état. Or, en 2021, seulement 53 % de ces immeubles avaient été rafraîchis.

En revanche, la SHQ peut revendiquer certains succès. Par exemple, le nombre de ménages bénéficiaires d’un HLM ou d’un supplément de loyer a augmenté d’environ 5 % sur la période 2017-2021, à quelque 109 000. On est loin de 50 %, mais tout de même, il y a une hausse.

Autre succès relatif : le nombre de ménages en attente d’un HLM ou d’un supplément de loyer a reculé d’environ 7 % sur la période, à quelque 37 150.

La SHQ rendra prochainement public son nouveau plan stratégique, en attente d’une approbation par le Conseil du trésor. Dans ce contexte, il serait pertinent qu’elle présente des cibles claires sur l’offre de logements sociaux et communautaires au Québec ainsi que sur ses rénovations, surtout dans le contexte d’un marché du logement difficile.

Ce genre de cibles est imposé à toutes les autres provinces canadiennes en vertu des ententes bilatérales fédérales-provinciales signées en 2018. Essentiellement, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) verse des fonds aux provinces avec comme condition que sur huit ans, elles augmentent de 15 % le nombre d’unités de logements sociaux et répare 20 % des unités existantes.

L’entente du Québec avec le fédéral, signée en octobre 2020, soit deux ans et demi après les autres, ne contient pas de telles exigences. Le fédéral, interventionniste, s’est visiblement buté à des négociateurs québécois qui ne voulaient pas se voir imposer des règles. C’est à se demander si les longs délais de l’entente ont eu pour effet, entre-temps, de priver les ménages de fonds pour se loger.

N’empêche, est-ce trop demander à la SHQ d’avoir des cibles claires concernant l’évolution du parc de logements sociaux ou abordables, tant pour les nouvelles unités que pour celles rénovées ?

1– Plusieurs chiffres ont été arrondis pour faciliter la lecture.