Ce n’est quand même pas rien. En l’espace d’une semaine seulement, trois immenses conglomérats industriels, GE, Johnson & Johnson et Toshiba – qui cumulent ensemble 380 années d’existence –, ont annoncé le démembrement prochain de leurs activités pour donner naissance à huit nouvelles entités distinctes. Entreprises capitalistiques modèles du siècle dernier, les géants industriels n’ont visiblement plus le souffle ni la cote d’antan.

GE, fondée en 1892, a été la première à dévoiler ses plans mardi en annonçant qu’elle se départirait d’ici trois ans de ses activités dans le secteur de la santé et de l’énergie en essaimant ses deux divisions par l’entremise d’une nouvelle inscription en Bourse pour chacune d’elles.

La nouvelle GE ne conservera que ses activités dans le domaine de l’aéronautique, où elle fabrique notamment les moteurs d’avions pour Boeing et Airbus. L’usine GE Aviation de Bromont, où quelque 800 employés travaillent à la fabrication de composants de moteur, fait partie du noyau dur de la prochaine GE.

Vendredi, ç’a été au tour de Toshiba et de Johnson & Johnson d’annoncer qu’elles allaient, elles aussi, se départir de certaines activités industrielles pour se replier autour d’un seul secteur d’activité.

Toshiba, société nipponne fondée en 1875, se scindera elle aussi en trois entités distinctes dans un horizon de deux ans. Une nouvelle entreprise regroupera les activités dans le domaine des infrastructures et de l’énergie par l’entremise d’une entrée en Bourse, alors qu’une autre entité chapeautera les actifs liés à la fabrication d’appareils électroniques et au stockage de données par l’entremise d’un premier appel public à l’épargne.

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Le conglomérat Toshiba se scindera en trois entités distinctes dans un horizon de deux ans.

La Toshiba d’origine conservera les activités de fabrication de microprocesseurs, de puces mémoires et d’appareils de bureautique.

Cette opération de délestage vise à générer de la valeur pour les actionnaires, qui se plaignent depuis des années de la sous-performance financière de Toshiba, qui a été passablement malmenée par un scandale financier en 2015.

Enfin, Johnson & Johnson, conglomérat fondé en 1886, spécialisé dans la fabrication de produits de consommation d’hygiène et de santé ainsi que dans celle de médicaments, de vaccins et d’équipements chirurgicaux, a décidé de se départir de sa division de produits de consommation.

Le conglomérat délaissera donc la fabrication de shampoings, de pansements, de poudre pour bébé, de crèmes hydratantes et de médicaments vendus sans ordonnance (notamment Tylenol) pour se concentrer sur le développement de traitements contre le cancer et de vaccins et sur la fabrication d’équipements chirurgicaux.

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Bureaux de Johnson & Johnson à Irvine, en Californie

Son PDG, Alex Gorsky, a expliqué que l’entreprise voulait ainsi simplifier sa structure et se concentrer sur les activités les plus lucratives du groupe, les produits de santé générant 80 milliards de revenus contre 15 milliards pour les produits de consommation.

Fin de la diversification

Ces changements importants dans la structure organisationnelle de ces trois grands conglomérats confirment la fin de l’ère de la diversification, qui a été longtemps édifiée comme le modèle de solidité financière et opérationnelle par excellence.

Durant des décennies, GE, le plus important conglomérat industriel américain, a été perçue comme la meilleure entreprise au monde. Jack Welch, son PDG de 1980 à 2000, était porté aux nues par tous les chefs d’entreprise des États-Unis ainsi que pour son slogan : « On doit être les meilleurs dans tout ce que l’on fait. »

Sous sa gouverne, le groupe était grandement diversifié : fabrication d’électroménagers, de moteurs d’avion, de produits électroniques, chaîne de télévision, studio de cinéma, distribution électrique, centrales énergétiques, financement et crédit-bail industriels, soins de santé, transport ferroviaire, pétrole et gaz…

En 2000, la valorisation boursière de GE était de 600 milliards. Au début de la semaine, 21 ans plus tard, elle n’était plus que de 120 milliards. Sa division GE Capital a été durement frappée par la crise financière de 2008. Son chiffre d’affaires de 180 milliards de l’époque est tombé aujourd’hui à 80 milliards, et son endettement colossal a forcé GE à annoncer sa restructuration et son démantèlement prochain en trois unités distinctes.

Au Québec aussi, on a connu l’ère des conglomérats, avec notamment la société montréalaise Imasco, qui a été démembrée à la fin des années 1990. Le groupe était propriétaire de Shoppers Drug Mart (Pharmaprix), d’Imperial Tobacco Canada, du Canada Trust, de la chaîne de restaurants Hardee’s et de la société de construction immobilière Genstar.

Au début des années 2000, Bombardier a aussi cherché à devenir un conglomérat industriel en voulant bâtir trois segments d’activité de force égale, dans l’aéronautique, le ferroviaire et le récréatif. On avait même créé une division Bombardier Capital ; c’était avant que l’entreprise soit forcée de vendre sa division de produits récréatifs et n’amorce son long démembrement…

À l’époque très prisés des investisseurs, les conglomérats permettaient de tempérer les risques sectoriels puisqu’on investissait dans un panier d’entreprises, mais cette pratique a perdu de son lustre lorsque les investisseurs ont appris à procéder eux-mêmes à la diversification sectorielle de leur portefeuille.

Le mouvement de cette semaine confirme que la spécialisation industrielle reprend le dessus et qu’il vaut mieux chercher à être bon dans ce que l’on sait faire de mieux que de se perdre à vouloir être partout à la fois.