Quand vous entrez dans un McDonald’s, un Mr. Lube ou un Hilton, vous pensez visiter une seule entreprise. En réalité, vous en visitez deux : l’exploitant local de l’établissement, le franchisé ; et la grosse entreprise qui détient l’enseigne de l’établissement, le franchiseur.

La relation franchiseur-franchisé implique souvent des conflits. Mais ils ont atteint leur paroxysme cette année : les franchisés affirment que leurs profits sont vampirisés par de nouvelles redevances, par l’imposition de fournisseurs désignés et par des restrictions de leur capacité à vendre.

Selon un rapport publié le 17 avril à Washington, les franchisés « ne profitent pas pleinement des risques qu’ils assument ». Le document fédéral cite des dizaines de propriétaires de petites entreprises qui ont déclaré ne pas avoir le contrôle des opérations de base qui déterminent leur capacité à réaliser des profits.

Ils ont trouvé une oreille attentive à Washington et dans plusieurs États, ce qui a donné lieu à de nombreux projets de lois qui limiteraient le pouvoir des franchiseurs.

Modèle d’affaires remis en cause

Les franchiseurs se sont opposés avec succès à la plupart de ces nouvelles lois, que le PDG de McDonald’s, Chris Kempczinski, décrit comme une menace existentielle.

« En vérité, notre modèle d’affaires est attaqué », a-t-il dit en février au congrès de l’International Franchise Association, regroupement de franchiseurs, de franchisés et de fournisseurs. « Si vous pensez que ces projets de loi n’ont pas d’impact sur vous, détrompez-vous. »

Le franchisage fait partie du capitalisme américain depuis des décennies. Il accélère la croissance des marques grâce au capital d’investisseurs prêts à engager leur propre argent en échange d’un plan d’affaires et d’un logo connu des consommateurs.

La Commission fédérale du commerce exige des franchiseurs qu’ils divulguent aux aspirants franchisés des facteurs tels que les coûts de démarrage et les résultats financiers de l’entreprise. Certains États ont aussi des lois réglementant le droit de vendre sa franchise.

Mais une bonne partie de la relation est non réglementée : par exemple, les modifications qu’un franchiseur peut apporter aux contrats ou les fournisseurs qu’il peut imposer.

Des lois peu contraignantes

Keith Miller, qui exploite des Subway en Californie et qui milite pour les droits des franchisés, impute à ce manque d’encadrement la récente flambée des litiges.

Jamais la pression sur les franchisés n’a été aussi forte. Auparavant, les redevances versées par les franchisés couvraient le marketing, les nouveaux menus et les outils de vente, des choses comme ça. Mais aujourd’hui, il semble qu’on doive payer pour ces services.

Keith Miller, franchisé de Subway

Les franchiseurs affirment que le modèle d’affaires reste avantageux pour les franchisés et que de nouvelles lois protégeraient les exploitants moins performants aux dépens de tous les autres. En 2021, 82 % des franchisés sondés par la firme Franchise Business Review disaient soutenir la direction de leur franchiseur, a dit Matthew Haller, PDG de l’International Franchise Association.

Mais des batailles législatives au niveau des États prouvent que la tension monte.

Les hôteliers franchisés, déjà pénalisés par la pandémie, disent souffrir des programmes de fidélisation des marques hôtelières, qui obligent l’hôtelier à louer à tarif réduit. Un projet de loi du New Jersey qui limiterait ces programmes se heurte à l’opposition farouche de l’American Hotel and Lodging Association (AHLA). La loi limiterait aussi les remises que les marques peuvent percevoir des fournisseurs imposés aux franchisés.

Le PDG de l’AHLA, Chip Rogers, affirme que le projet de loi « saperait les fondements mêmes du franchisage hôtelier en limitant la capacité d’une marque à faire respecter ses normes ».

Franchisés au bord du désespoir

Laura Lee Blake, PDG de l’Asian-American Hotel Owners Association, rétorque que ses 20 000 membres sont au bord du désespoir. Elle évoque de nombreuses rencontres avec les franchiseurs où elle a « essayé encore et encore » d’obtenir des changements : « Ils refusent d’écouter. »

En Arizona, un projet de loi vise à renforcer le droit des franchisés de vendre leur entreprise et à protéger leur droit de se regrouper en association sans s’exposer aux représailles des franchiseurs. Ces derniers s’y opposent. Deux comités l’ont approuvé en février et en mars, mais l’International Franchise Association a engagé deux firmes de lobbyistes pour s’y opposer avant le vote en chambre.

PHOTO MARK ABRAMSON, THE NEW YORK TIMES

Des membres de l’Asian-American Hotel Owners Association, réunis en congrès à Los Angeles le 16 avril 2023. Leur présidente affirme que ses 20 000 membres sont au bord du désespoir en raison de leurs rapports avec les franchiseurs.

Les élus du Parti républicain ont dénoncé le texte de loi, accusant le gouvernement de s’immiscer « à coups de massue » dans les relations commerciales du secteur privé. La marraine du projet de loi, l’élue démocrate Anastasia Travers, dit qu’elle a été prise de court par la rapidité et la force de l’opposition. Elle a renoncé à faire adopter ce projet durant la session de 2023.

« Le temps n’a pas joué pour moi », a déclaré Mme Travers.

Les républicains derrière Big Business

Un projet de loi similaire en Arkansas a également été émasculé après que l’International Franchise Association l’a dénoncé comme « la réglementation la plus extrême de tous les États ».

Le projet a été amendé pour en supprimer des sections entières, dont une qui aurait empêché les franchiseurs d’imposer toute exigence « modifiant de manière déraisonnable » les conditions financières de la relation en tant que condition de renouvellement ou de vente. Après que le projet de loi a été vidé d’une bonne partie de sa substance, l’International Franchise Association a donné sa bénédiction et la loi a été rapidement adoptée.

Les franchisés ont au moins obtenu que le franchiseur soit obligé de démontrer l’existence de motifs pour mettre fin au contrat de franchisage.

Au fédéral, l’administration démocrate agit sur deux fronts.

La Commission fédérale du commerce a exigé en mars des informations sur les moyens de contrôle des franchiseurs sur les franchisés. Cette initiative pourrait déboucher sur de nouvelles règles, ce qui ameute les franchiseurs.

De son côté, la Commission des relations de travail a proposé de faciliter la désignation des franchiseurs comme « employeurs conjoints ». Cela les rendrait responsables des violations du droit du travail des franchisés, si les conditions de franchisage déterminent de façon appréciable les conditions de travail. Les franchiseurs soutiennent que cela serait un risque d’affaires inacceptable qui « détruirait » le modèle d’affaires.

Les franchiseurs blâment les syndicats

Devant cette agitation, les franchiseurs blâment les syndicats. L’Union internationale des employés de service, en particulier, exige depuis longtemps que McDonald’s soit désigné « employeur conjoint ». Cela permettrait de lancer une campagne de syndicalisation de toute la chaîne, plutôt que magasin par magasin.

Ironiquement, les franchisés pourraient tirer profit de la conjecture, dit Robert Zarco, avocat de Miami engagé par une association qui regroupe 1000 propriétaires de McDonald’s. Car pour éviter d’être désignés employeurs conjoints (et éviter le risque d’affaires que cela entraîne), les franchiseurs pourraient choisir de réduire leur emprise sur les activités des franchisés.

« Si l’entreprise ne veut pas être considérée comme coemployeur, la solution est très simple, a déclaré MZarco. Elle n’a qu’à supprimer tous les contrôles excessifs qu’elle a mis en place et garder seulement ce qui protège la marque, le produit et la qualité du service. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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