L’été s’annonce difficile pour certains restaurateurs et producteurs de petits fruits. Si le projet de loi encadrant le travail des enfants est adopté dans sa forme actuelle, ils risquent de se retrouver avec un casse-tête d’horaire sur les bras dès le début de la saison des vacances puisqu’ils seront contraints de se passer des services des jeunes âgés de moins de 14 ans, tant aux champs qu’en cuisine.

« On ne souhaite pas une norme aussi rigide, reconnaît Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec (ARQ). De la façon dont c’est écrit dans le projet de loi, c’est que 30 jours après la sanction, il faut procéder aux cessations d’emploi de tous les employés de moins de 14 ans. » Résultat : la saison estivale pourrait être affectée. Près du tiers des membres de l’ARQ comptent dans leurs équipes des employés appartenant à ce groupe d’âge.

Du leur côté, la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) s’expliquent mal pourquoi un enfant de 13 ans peut travailler dans un organisme à but non lucratif (OBNL) comme Renaissance – tel qu’indiqué dans les exemptions – alors qu’on lui interdirait d’être embauché dans une épicerie ou un magasin de vêtements. « [Scanner] des vêtements dans un OBNL ou les scanner chez Zara, c’est quoi la différence ? », se questionne Charles Milliard, président directeur général de la FCCQ.

Ainsi, nombre d’organisations comme l’ARQ, la FCCQ, le CCCD, l’Union des producteurs agricoles (UPA) et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) déposeront un mémoire et feront valoir leur point de vue cette semaine à l’occasion des consultations et des auditions publiques portant sur le projet de loi 19 visant à encadrer le travail des enfants qui commencent ce mardi à Québec. S’ils saluent tous l’initiative du gouvernement dans sa volonté d’assurer la sécurité des jeunes travailleurs et de les inciter à prioriser l’école, les différents groupes souhaiteraient certaines modifications.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi présenté par le ministre du Travail, Jean Boulet, interdit à un employeur d’embaucher un enfant âgé de moins de 14 ans (sauf pour être gardien d’enfants, moniteur dans une colonie de vacances ou employé de l’entreprise familiale) et limite le nombre d’heures de travail d’un jeune à 17 heures par semaine pendant l’année scolaire.

Main-d’œuvre recherchée

Retirer les jeunes âgés de moins de 14 ans des salles à manger, des cuisines, des champs ou même de la caisse des supermarchés pourrait nuire aux activités des entreprises, soutient M. Vézina.

Même s’ils ne font quelques heures par semaine, ces quelques heures consacrées à la mise en place ou à la vaisselle, ça permet de maintenir un quart de travail efficace.

Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ

L’ARQ demande donc que le milieu de la restauration soit exempté de cette mesure. Un souhait également exprimé par l’Association des producteurs de fraises et framboises du Québec (APFFQ), dont de nombreux membres font appel à des jeunes pour la cueillette aux champs et la vente à la ferme. Selon sa directrice générale, Jennifer Crawford, le gouvernement « n’a pas beaucoup pensé à l’agriculture ». « Les jeunes âgés de 12 et 13 ans sont importants pour les fermes qui n’embauchent pas de travailleurs étrangers », souligne-t-elle.

Du côté du CCCD, qui représente notamment de grandes enseignes comme Metro, IGA, Loblaw, Costco et Walmart, on demande à ce que les jeunes correspondant à ce groupe d’âge puissent travailler comme emballeur, commis ou caissier par exemple pendant les vacances d’été, moment de l’année où les études ne seraient pas mises en péril.

Quatre heures de travail en semaine

La limite d’un horaire de travail à 17 heures par semaine pour les travailleurs de 14 à 16 ans et de 10 heures du lundi au vendredi proposée dans le projet de loi rallie bon nombre d’organisations. La FAE va toutefois beaucoup plus loin. Elle demande que les jeunes ne travaillent pas plus de 10 heures par semaine pour un maximum de 4 heures du lundi au vendredi.

« Après analyse de l’emploi du temps typique d’un élève du secondaire de 14 à 16 ans, la FAE conclut, en comptant en moyenne 9 heures de sommeil par nuit, que le projet de loi dans sa forme actuelle ne laisserait à un élève qu’entre 2 et 6 heures par jour, en semaine, pour voir sa famille, socialiser avec ses pairs, prendre du temps pour elle ou lui, se reposer, etc. », peut-on lire dans le communiqué de la FAE publié ce mardi.

Questionnements sur les exemptions

Par ailleurs, dans son projet de loi, le gouvernement prévoit certaines exemptions pour permettre aux jeunes de moins de 14 ans de travailler. Celle faisant le plus sourciller concerne la possibilité d’être employé d’une entreprise familiale qui compte moins de 10 salariés. « C’est un concept qui nous apparaît beaucoup trop flou, affirme Charles Milliard, de la FCCQ. Pourquoi mettre une limite de 10 employés ? », questionne-t-il en ajoutant dans la foulée que ce chiffre lui apparaît « arbitraire ».

« C’est comme si on disait qu’une entreprise qui compte 15 employés, c’est plus dangereux qu’une entreprise de 8 employés. »

Il se demande également pourquoi le gouvernement permettrait davantage à un jeune de travailler dans un organisme à but non lucratif que dans une entreprise. « Un jeune de 13 ans pourrait travailler par exemple à la caisse d’une friperie [Renaissance], mais à l’épicerie, ce n’est pas permis, même si c’est la même caisse. »

Les consultations concernant le projet de loi se tiendront au cours des trois prochains jours. L’interdiction de travailler pour les jeunes âgés de moins de 14 ans s’appliquera dès la sanction alors que les limites d’heures entreront en vigueur le 1er septembre 2023.