Copropriétaire d’une épicerie familiale à Causapscal, en Gaspésie, Simon Veilleux compte son neveu Maxime, âgé de 13 ans, parmi ses employés. Avec l’argent gagné en préparant des sandwiches, le jeune garçon prévoyait s’acheter une mobylette électrique. Or, il pourrait devoir renoncer à ce projet, car son oncle sera sans doute contraint de lui montrer la porte.

Selon les chiffres du ministère du Travail, près de 90 000 jeunes âgés de moins de 14 ans ont présentement un boulot à temps partiel. Le projet de loi 19 visant à encadrer le travail des enfants limite à 14 ans l’âge minimal pour travailler, sauf s’ils sont notamment employés de l’entreprise familiale. Mais celle-ci ne doit pas compter plus de 10 employés. L’épicerie Alimentation Causap, copropriété du père et de l’oncle de Maxime, en compte 35.

Ce cas illustre bien les interrogations soulevées à l’occasion des consultations et des auditions publiques portant sur le projet de loi 19 visant à encadrer le travail des enfants qui se tiennent à Québec jusqu’à jeudi.

Autant le Conseil du patronat du Québec (CPQ), la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) que le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) demandent à ce que la notion d’entreprise familiale ne soit pas limitée à 10 employés. Cela permettrait à un jeune âgé de moins de 14 ans de continuer à travailler à la ferme ou au restaurant de ses parents même si l’entreprise compte une quinzaine de salariés, par exemple. « Les entreprises familiales avec plus de 10 employés sont extrêmement nombreuses. Le nombre d’employés n’a pas d’impact sur la sécurité des enfants », a fait valoir Karl Blackburn, président et chef de la direction du CPQ, lors de son passage devant la Commission de l’économie et du travail, mardi.

De son côté, le ministre du Travail, Jean Boulet, à l’origine du projet de loi, a affirmé que la limite à 10 salariés était une « unité de mesure » qui lui apparaissait « raisonnable » puisqu’elle permettait un bon contrôle parental.

Ce qu’on veut, c’est que les parents soient impliqués. À moins de 10 [employés], on a une implication plus importante des parents.

Jean Boulet, ministre du Travail

À l’autre bout du spectre, des syndicats comme la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) s’inquiètent et trouvent que la notion d’entreprise familiale est « trop large » et couvre « trop de secteurs ».

À Causapscal, Simon Veilleux, copropriétaire de l’épicerie, trouverait « dommage » de devoir se passer des services de son neveu en raison de cette règle et s’imagine mal comment il pourra le remplacer. « Il ne s’attend pas du tout à perdre son emploi », confie-t-il.

Selon l’Association des détaillants en alimentation du Québec, plusieurs épiceries familiales se retrouveraient dans la même situation.

Une dérogation

Par ailleurs, sauf exception – entreprise familiale, organisme à but non lucratif, colonie de vacances –, les entreprises devront montrer la porte à leurs travailleurs âgés de moins de 14 ans 30 jours après la sanction du projet de loi. Résultat : ils pourraient devoir déserter les allées d’épicerie ou encore les salles à manger des restaurants au beau milieu de l’été.

Le projet de loi limite également à 17 le nombre d’heures de travail par semaine pendant l’année scolaire. Si la plupart des organisations, tant patronales que syndicales, saluent l’initiative du gouvernement et se disent en faveur d’un meilleur encadrement, certaines comme la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) demandent à ce que les jeunes de moins de 14 ans qui ont déjà un emploi puissent obtenir une dérogation pour conserver leur travail afin d’éviter de « briser 90 000 rêves ».

Ils sont déjà à l’emploi. Ils ont déjà leur routine. Un jeune dont la fête [de 14 ans] est en septembre va être pris à jouer au Nintendo dans le sous-sol.

François Vincent, vice-président pour le Québec de la FCEI

De son côté, le CPQ a demandé au gouvernement d’attendre en septembre pour rendre la limite d’âge obligatoire afin de « passer à travers la période estivale ».

Le ministre du Travail n’a toutefois pas semblé disposé à accorder un délai. « À partir du moment où tu interdis [aux jeunes de travailler] en bas de 14 ans, il faut quand même que ça rentre en vigueur à un moment donné. »

Pas de modèle d’affaires sur le dos des enfants

Par ailleurs, les syndicats présents aux consultations étaient unanimes : l’économie du Québec ne doit pas reposer sur les épaules des jeunes. Ils ont également souligné la « quasi-absence » d’encadrement au Québec.

La CSN n’a pas caché son inquiétude face aux mesures d’exception demandées par les « lobbys patronaux ». François Enault, premier vice-président, leur a même reproché de « penser à leur modèle d’affaires » au détriment du bien de l’enfant. « La CSN soutient qu’aucun modèle d’affaires ne peut ni ne doit reposer sur le travail des enfants, peut-on lire dans le mémoire déposé par le syndicat à l’occasion des consultations. Il ne faut jamais que l’âge minimum d’accès à l’emploi ou les règles en matière de santé et de sécurité soient réduits ni que le nombre d’heures de travail soit augmenté, surtout pas pour corriger une problématique de pénurie ou de rareté de main-d’œuvre dans l’un ou l’autre des secteurs de l’économie. »

Les audiences se poursuivront jusqu’à jeudi.