La haute direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) aura droit à des primes totalisant 10,6 millions malgré un rendement de - 5,6 % l’an dernier. Le bas de laine des Québécois défend son approche en soulignant qu’il dépasse les objectifs qu’il se fixe, peu importe le contexte économique.

« Cela aussi a une valeur, souligne le porte-parole de l’institution, Maxime Chagnon. Oui, le rendement sur un an compte, mais il faut aussi prendre en compte la performance sur cinq ans. »

Les détails entourant la rémunération des six principaux dirigeants du gestionnaire québécois de régimes de retraite et d’assurance publics et parapublics figurent dans son rapport annuel, déposé mardi à l’Assemblée nationale.

Malgré un rendement négatif en 2022 dans le « pire contexte de marché en 50 ans », la CDPQ rappelle, dans le document d’environ 240 pages, avoir mieux fait que son indice de référence, fixé à - 8,3 %.

En tenant compte de ce résultat, l’institution affiche un rendement annuel moyen de 5,8 % au cours des 5 dernières années, par rapport à la cible de 4,9 %.

Le président et chef de la direction, Charles Emond, ainsi que ses cinq subalternes n’empocheront pas immédiatement la totalité des 10,6 millions. Ces derniers ont « différé » une somme de 6 millions. Elle sera mise de côté et versée plus tard, avec un rendement potentiel.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Charles Emond, président et chef de la direction de la CDPQ (à gauche)

En 2021, lorsque la performance avait été de 13,5 %, les principaux cadres de la Caisse avaient eu droit à quelque 12 millions en primes.

Pas juste les chiffres

Outre la performance annuelle, la CDPQ explique dans son rapport annuel que les primes dépendent également de l’atteinte de réalisations comme la diversification géographique du portefeuille, les investissements au Québec et l’exécution de projets comme celui du Réseau express métropolitain (REM) – marqué par des retards avec une mise en service de l’antenne Rive-Sud prévue ce printemps.

Selon Saidatou Dicko, professeure de sciences comptables à l’UQAM et spécialiste en gouvernance, les salaires des hauts dirigeants de la Caisse constituent un débat qui s’invite dans l’espace public. Ces primes sont « élevées », soutient l’experte.

« On se dit qu’il faut laisser au conseil d’administration la latitude pour déterminer ces sommes, dit Mme Dicko en entrevue téléphonique. L’État ne veut pas nécessairement se mettre la main là-dedans, alors c’est le même refrain qui revient annuellement. Ce n’est pas équitable socialement, mais est-ce que l’on veut discuter de rémunération sous cet angle ? »

Un total stable

En comptabilisant les salaires de base, les primes ainsi que les autres avantages, les émoluments des six principaux dirigeants de la CDPQ ont atteint environ 18 millions, un montant semblable à celui de 2021. Cette somme tient compte des conversions de devises, des autres versements ponctuels effectués au cas par cas ainsi que d’une indemnité de départ versée à un cadre qui a quitté son poste l’automne dernier.

Le traitement de M. Emond a atteint 4,2 millions, ce qui représente un recul d’environ 5 % par rapport à 2021. Ces émoluments sont inférieurs à ce que gagnent certains de ses pairs ailleurs au Canada.

Par exemple, du côté du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (Teachers), le président et chef de la direction Jo Taylor a eu droit à 5,1 millions en 2022. L’institution a cependant affiché un rendement de 4 %. Au Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS), qui a généré un gain de 4,2 % l’an dernier, c’est 5,1 millions qui ont été consentis au chef de la direction Blake Hutcheson.

On apprend également dans le rapport annuel de la CDPQ que Martin Laguerre, qui a quitté son poste de premier vice-président et chef des placements privés le 20 octobre dernier, n’est pas parti les mains vides. Le gestionnaire, qui travaillait à New York, a reçu pas moins de 2,3 millions. Cela tient compte d’une indemnité de départ estimée à environ 2 millions.

Quatre choses de plus à savoir

En épluchant le rapport annuel de la Caisse, nous avons remarqué quatre autres éléments. Les voici.

Un pari qui tourne mal en Inde

Le rapport annuel de la CDPQ offre une mise à jour sur la valeur de son investissement dans le producteur indien d’énergie renouvelable Azure Power. Les 34,25 millions d’actions détenues par la Caisse ne valaient plus que 200 millions. Le bas de laine des Québécois a pourtant investi plus d’un demi-milliard dans cette entreprise éclaboussée par des irrégularités comptables depuis l’été dernier. La santé financière précaire d’Azure soulève également des doutes sur sa capacité à poursuivre ses activités.

1,7 million pour le patron du REM

Aux commandes du REM, un chantier de plus de 7 milliards, le président et chef de la direction de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud, a eu droit à environ 1,7 million en 2022. La Caisse lève le voile sur son traitement dans son plus récent rapport annuel. Son salaire de base a été de 450 000 $ et M. Arbaud s’est vu accorder une prime de 1,2 million. La mise en service de l’antenne Rive-Sud du réseau de train automatique est prévue ce printemps. Le chantier a été marqué par des retards dans le contexte de la pandémie et des mauvaises surprises dans le tunnel Mont-Royal.

Près de 5 millions pour diriger 1/4 de la boîte

On apprend également qu’au sein de la division immobilière Ivanhoé Cambridge, deux cadres, Karim Habra et George Agethen, se partagent la responsabilité du marché de l’Asie-Pacifique, qui ne représentait que 9 % du portefeuille à la fin de 2022. M. Habra est aussi responsable du portefeuille européen. Europe et Asie représentent 26 % du portefeuille de la société, largement concentré en Amérique du Nord. Ensemble, les deux gestionnaires ont touché 4,61 millions l’an dernier, ce qui est supérieur au traitement (3,15 millions) de la présidente et cheffe de la direction chez Ivanhoé Cambridge, Nathalie Palladitcheff. La filiale de la CDPQ justifie la présence de deux dirigeants en Asie-Pacifique par la « complexité de ces marchés très étalés géographiquement » et par le fait que M. Habra assurait une transition en 2022.

Pas de régime minceur

Les charges d’exploitation ont bondi d’environ 8 % l’an dernier pour se chiffrer à 775 millions. Cette catégorie comptabilise tout ce qui entoure la gestion et l’administration à l’interne des portefeuilles. Cependant, les charges globales ont fléchi, passant de 2,2 milliards à 2 milliards. Ce recul s’explique essentiellement par la « réduction des frais de performance des placements en gestion externe », donc de primes moins élevées parce que les rendements n’ont pas été au rendez-vous.

En savoir plus
  • 402 milliards
    Taille de l’actif de la CDPQ au 31 décembre dernier.
    Source : CDPQ