Le nombre de familles en attente d’une décision en matière de regroupement familial ne cesse de gonfler au Québec, en raison des quotas imposés par le gouvernement Legault dans cette catégorie d’immigration. En date du 1er février, il atteignait un record de 43 400, selon les données fournies à La Presse par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.

Il s’agit d’une hausse de 13 % en à peine six mois. Et plus il y a de gens en attente, plus les délais s’allongent.

« J’ai le goût de pleurer », laisse tomber Jean-Éric Tremblay, enseignant à la retraite de 62 ans, qui a épousé un Brésilien.

Ça n’a aucun sens. On parle de gens qui s’aiment. De gens mariés, de parents, de grands-parents.

Jean-Éric Tremblay

La demande de parrainage a été déposée en août 2022. Son mari, Evaldo Gonçalves, 51 ans, a reçu son certificat de sélection du Québec (CSQ), quatre mois plus tard, en janvier 2023. Le CSQ est ce document qui ouvre la voie à la résidence permanente.

« Moi, je comprenais qu’un CSQ, ça voulait dire : OK, vous êtes sélectionné, vous touchez au but », explique M. Tremblay.

Mais ce n’est pas le cas. Sur les 43 400 familles québécoises en attente, 20 500 ont obtenu leur CSQ. Et comme celles de ces familles, la demande de parrainage de M. Tremblay, un an plus tard, est au point mort.

Les demandes s’accumulent parce qu’elles sont plus nombreuses que les places disponibles. Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration a établi un quota de 10 400 admissions, en 2024, dans cette catégorie d’immigration, qui relève du fédéral.

Pour réduire l’inventaire et les délais, le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a d’ailleurs menacé de passer outre à ce quota, dans une lettre adressée le 3 mars à son homologue du Québec, Christine Fréchette. « La directive du ministre Miller est un affront direct aux champs de compétence du Québec », a répliqué Mme Fréchette.

En attendant une solution, sur laquelle la ministre dit plancher, les délais de traitement s’étirent. Ils sont de 30 mois pour le parrainage d’un conjoint vivant à l’étranger, au Québec. Dans les autres provinces : 12 mois. Pour un conjoint vivant au pays, ils sont de 25 mois. À l’extérieur du Québec : 9 mois.

Entre-temps, Evaldo Gonçalves a obtenu un visa de visiteur. Il compte venir au Québec pour la première fois le 2 avril. C’est mieux que rien, convient le couple. « Mais ce n’est pas l’idéal parce qu’il n’aura pas son permis de travail, souligne M. Tremblay. S’il avait sa résidence permanente tout de suite, il pourrait travailler. Mais là, il va falloir attendre trois semaines, un mois, trois mois, quatre mois, pour avoir le permis de travail. »

« Je comprends qu’il y a des seuils d’immigration », ajoute le Montérégien. « Mais c’est sûr que, dans le cas des regroupements familiaux, je pense que le gouvernement devrait trouver une solution pour vider cette liste et trouver un moyen de faire en sorte qu’il n’y ait pas une liste aussi longue qui se crée. »

La société change

Cynthia Bélanger, 48 ans, est du même avis. Elle tente de parrainer son mari cubain, Eduardo Garcia Santana, diplômé en informatique et en langues, aussi âgé de 48 ans. Le CSQ a été délivré en mars 2023. Mais depuis, le dossier n’avance pas.

PHOTO FOURNIE PAR CYNTHIA BÉLANGER

Cynthia Bélanger, Eduardo Garcia Santana et leur petite famille, à Cuba, le jour de leur mariage

« On entend la ministre Fréchette dire que les seuils sont les mêmes qu’il y a 10 ans et que le gouvernement n’a jamais eu de problème avec la réunification familiale », dit Mme Bélanger.

Il faudrait qu’elle comprenne, Mme Fréchette, que la société a évolué depuis 10 ans. On voyage plus, on rencontre l’amour à l’extérieur, on accueille plus d’immigrants aussi. Donc, c’est sûr qu’il y a des Québécois qui tombent en amour avec quelqu’un d’une autre nationalité, qu’il faut parrainer à l’interne.

Cynthia Bélanger

« C’est sûr que les seuils, ça ne fonctionne pas, ajoute Mme Bélanger. Et ce qui ne fonctionne pas pour moi, pour être bien franche, c’est de voir le gouvernement du Québec se promener dans le monde pour faire du recrutement, au Mexique, au Brésil, en France. La ministre va recruter des travailleurs à l’étranger et elle leur permet de venir s’établir ici avec leur famille dans un délai de six mois. »

« Quel chaos ! »

Cette situation choque aussi Josée Chabot, directrice informatique, dont le fils a épousé une Vietnamienne.

« Moi, je recrute à l’étranger des gens qui ont le même profil que mon fils, ingénieur informatique, parce qu’on en manque au Québec », souligne Mme Chabot. « On leur dit : “Venez et amenez votre famille.” Le dernier que j’ai recruté est arrivé avec trois enfants et sa femme enceinte, qui a accouché ici. »

« On leur dit : “Venez. Vous, on vous permet de venir avec votre famille.” Mais mon fils, lui, ne peut pas avoir sa conjointe. Est-ce qu’il faut qu’il demande un visa de travail pour avoir le droit de vivre ici avec sa femme ? C’est ridicule ! Il y a de l’incohérence dans la gestion de l’immigration. On a espoir avec la sortie de M. Miller. Mais, en même temps, je me dis : mon doux, mais quel chaos ! Ça n’a pas de bon sens ! »

Trois fois plus ailleurs au Canada

La comparaison avec les autres provinces est difficile parce que le reste du Canada accueille beaucoup plus d’immigrants que le Québec par rapport à sa population. Cela touche toutes les catégories d’immigration. En plus, le Canada n’impose pas de seuil maximal au nombre de familles admissibles au parrainage. Résultat, en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta, les trois autres grandes provinces où il y a beaucoup d’immigrants, le nombre de conjoints reçus comme résidents permanents est environ trois fois plus élevé qu’au Québec, en proportion de la population, selon les données d’Immigration Canada.

En savoir plus
  • 275
    Nombre de conjoints parrainés ayant obtenu la résidence permanente au Québec, en janvier. Ce nombre était de 1215 en janvier 2023.
    Source : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
    10 290
    Nombre total de familles parrainées au Québec, en 2023, incluant les enfants, les conjoints, les membres de la famille élargie, les parents et les grands-parents.
    Source : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada