(Ottawa) Que savait exactement le premier ministre Justin Trudeau au sujet de l’ampleur des activités d’ingérence étrangère qui auraient été menées par la Chine durant les élections fédérales de 2019 et de 2021 ?

Pas grand-chose, si l’on se fie aux témoignages des proches collaborateurs de M. Trudeau qui ont comparu mardi devant la Commission sur l’ingérence étrangère, et cela, même si les manœuvres clandestines de la Chine ont fait l’objet de plusieurs rapports du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) au fil des années.

Les plus hauts fonctionnaires de l’appareil gouvernemental durant cette période, notamment l’ancienne greffière du Bureau du Conseil privé Janice Charette et l’actuelle conseillère de M. Trudeau en matière de sécurité nationale, Nathalie Drouin, ont aussi affirmé que le premier ministre n’a pas reçu de séance d’information exhaustive sur cette délicate question durant les deux derniers scrutins.

Justin Trudeau doit témoigner mercredi devant la juge Marie-Josée Hogue qui préside la Commission. Trois ministres – Dominic LeBlanc, Bill Blair et Karina Gould – seront aussi interrogés en ce dernier jour des audiences de la Commission.

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Le premier ministre Justin Trudeau

« Je n’ai pas organisé une séance de breffage à l’intention du premier ministre sur cette question durant les élections ou après les élections. Je crois que la première séance d’information au premier ministre n’a pas eu lieu avant 2023 par le Bureau du Conseil privé », a affirmé Mme Charette, qui a pris sa retraite de la fonction publique l’an passé.

M. Trudeau a reçu une séance de breffage importante le 21 février 2023 après la publication dans le quotidien The Globe and Mail d’une série d’articles détaillant les activités d’ingérence menées par la Chine afin d’influencer les résultats des élections fédérales dans certaines circonscriptions au pays. Les reportages du quotidien s’appuyaient sur des rapports secrets du SCRS sur le phénomène grandissant de l’ingérence étrangère par certains États, en particulier de la Chine.

Entre autres choses, la Chine aurait utilisé une stratégie raffinée afin d’assurer la réélection d’un gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau au dernier scrutin et de défaire des candidats conservateurs jugés hostiles au régime communiste chinois, selon le quotidien.

Un document du SCRS préparé en prévision de ce breffage du 21 février 2023 a été rendu public lundi par la Commission. Dans ce document de six pages, le SCRS soutient que la Chine était « intervenue de manière clandestine et trompeuse » durant les élections de 2019 et de 2021.

Dans ce document, le SCRS souligne avoir fourni 34 séances d’information sur l’ingérence étrangère – y compris lors des deux dernières élections fédérales – à de nombreux ministres de juin 2018 à décembre 2022. Il indique que M. Trudeau a été informé en février 2021 et octobre 2022.

Le document du SCRS soutient que les acteurs étatiques sont capables d’intervenir avec succès au Canada parce qu’il y a « peu de conséquences juridiques ou politiques ».

« Tant que [l’ingérence étrangère] ne sera pas considérée comme une menace existentielle pour la démocratie canadienne et que les gouvernements n’y réagiront pas avec force et activement, ces menaces persisteront. »

Mais selon Brian Clow, qui est chef de cabinet adjoint du premier ministre, plusieurs éléments qui se trouvent dans ce document faisant état des activités d’ingérence de la Chine n’ont pas été relayés de vive voix au premier ministre par le patron du SCRS David Vigneault durant la rencontre.

« La plupart des informations dans ce document ne nous ont pas été relayées durant la rencontre », a soutenu M. Clow, qui a été invité à la barre des témoins en compagnie de Katie Telford, cheffe de cabinet de M. Trudeau. Deux autres proches collaborateurs du premier ministre – Jeremy Broadhurst et Patrick Travers – ont comparu en même temps.

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Katie Telford, cheffe de cabinet de M. Trudeau

« Ce que l’on voit dans ce document, ce sont des notes de la personne qui nous offre un breffage. Mais cela ne veut pas dire que cette même personne choisit de nous donner toutes ces informations », a-t-il soutenu.

Durant son témoignage, Katie Telford a affirmé qu’il ne faut pas avoir « une foi aveugle » dans les renseignements que collige le SCRS qui sont transmis au bureau du premier ministre. Ces renseignements sont souvent parcellaires et brossent un portrait incomplet d’un dossier. Cela explique aussi pourquoi il y a un triage des renseignements avant qu’ils soient remis au premier ministre.

Pour sa part, l’actuelle conseillère à la sécurité nationale et au renseignement de M. Trudeau, Nathalie Drouin, a fait valoir en matinée que même si l’on a relevé des activités d’ingérence étrangère au Canada au cours des dernières années, cela ne veut pas dire que ces manœuvres ont été fructueuses.

Elle a réitéré que des responsables avaient surveillé les tentatives d’ingérence au cours des deux dernières élections canadiennes, mais n’avaient pas constaté d’effets notables sur les scrutins.

De hauts fonctionnaires chargés d’évaluer de possibles cas d’« incident électoral majeur » n’ont pas estimé que les activités lors des deux élections étaient suffisamment graves pour justifier d’en informer le public, dans le cadre d’un protocole spécial.

Avec La Presse Canadienne