(Ottawa) L’exclusion du Canada de l’alliance militaire impliquant trois de ses plus proches alliés est symptomatique d’un problème plus vaste dans la façon dont le pays est perçu par ses amis, estiment des experts, alors que les Américains, les Britanniques et les Australiens vont de l’avant avec leur accord.

Le président américain, Joe Biden, se joignait lundi aux premiers ministres britannique et australien pour une rencontre, sur une base navale à San Diego, afin de confirmer les prochaines étapes de leur alliance militaire tripartite « AUKUS » (« Australia-UK-US »).

Cette mise à jour permettra notamment d’officialiser des plans américains et britanniques pour aider l’Australie à développer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire, en réponse aux inquiétudes croissantes concernant les actions de la Chine dans le Pacifique.

Le gouvernement de Justin Trudeau a minimisé l’importance de ce partenariat « AUKUS » pour le Canada, affirmant qu’Ottawa n’était pas sur le marché des sous-marins à propulsion nucléaire. Mais certaines voix dans les milieux militaires au pays et à l’étranger soutiennent que le Canada devrait être de la partie.

Un haut commandant des Forces armées canadiennes, le vice-amiral Bob Auchterlonie, s’inquiétait dans une récente entrevue avec La Presse Canadienne du fait que le Canada ne dispose pas de la même technologie de pointe que trois de ses plus proches alliés.

L’exclusion du Canada est considérée comme une preuve supplémentaire que ses alliés ne croient pas qu’Ottawa souhaite sérieusement repousser les ambitions chinoises, malgré la récente publication d’une nouvelle « stratégie indo-pacifique » à la fin de l’année dernière.

« En raison du rythme des évènements qui se déroulent dans la région indopacifique, nos partenaires vont de l’avant essentiellement avec une direction claire en tête », a déclaré Paul Mitchell, professeur au Collège des Forces canadiennes et expert en stratégie navale et en politique de défense américaine.

« Le Canada, lui, a publié sa Stratégie indopacifique. Mais je pense que le problème du Canada, en ce moment, c’est que même s’il a une stratégie, il n’a vraiment pas décidé ce qu’il veut accomplir dans la zone Indo-Pacifique. »

La stratégie vise à trouver un équilibre entre la confrontation et la coopération avec la Chine, affirmant que le Canada « interpellera la Chine dans les domaines de profond désaccord », tout en travaillant ensemble sur des domaines d’intérêt commun tels que le changement climatique.

Cette position contraste avec celle de Washington, où le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, dans une stratégie de défense publiée plus tôt ce mois-ci, a décrit « une Chine de plus en plus agressive » comme étant un « défi générationnel » et la priorité absolue de l’armée américaine.

« Qu’essayons-nous d’accomplir ici [au Canada] ?, demande le professeur Mitchell. C’est la chose qui mystifie vraiment beaucoup de gens. Avec les États-Unis, il y a clairement une fin là-bas en termes de sauvegarde de son hégémonie régionale dans la région et de soutien à un ordre fondé sur des règles. »

L’ancien ambassadeur du Canada en Chine David Mulroney a attribué à l’Australie le mérite d’avoir lancé le partenariat « AUKUS » après avoir sérieusement réfléchi à son avenir en tant que puissance moyenne dans un monde – et une région – que la Chine cherche à dominer.

Cela reflète non seulement l’approche diplomatique plus réaliste et innovante de l’Australie, a déclaré M. Mulroney, mais aussi le produit de la volonté de Canberra d’investir les ressources nécessaires pour faire de ce partenariat une réalité.

Les chiffres restent incertains, mais l’Australie serait sur le point de dépenser des milliards dans le cadre de l’accord d’achat de nouveaux sous-marins. La Grande-Bretagne et les États-Unis devraient également investir dans l’accord pour le développement technologique, la formation et d’autres domaines.

Le Canada était autrefois une source d’idées tout aussi brillantes et ambitieuses, et il était constamment disposé à contribuer à leur réalisation. Malheureusement, nous ne faisons même plus partie de la conversation.

L’ancien ambassadeur du Canada en Chine, David Mulroney

L’analyste de la défense David Perry, de l’Institut canadien des affaires mondiales, souligne que les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie consacrent tous au moins 2 % de leur produit intérieur brut à la défense, contre moins de 1,3 % au Canada.

Ces pays ont également de solides plans pour construire de nouveaux sous-marins, tandis qu’Ottawa ne s’est même pas encore engagé à remplacer les quatre navires de classe Victoria en difficulté de la Marine royale canadienne, sans parler de l’éventuel remplacement de sa flotte.

Et ce, malgré le fait que les commandants militaires aient souligné à plusieurs reprises le besoin de sous-marins, y compris le chef d’état-major de la défense, le général Wayne Eyre, la semaine dernière encore.

« C’est un indicateur que même parmi certains de nos alliés les plus proches, l’expérience passée partagée et l’histoire commune ne continueront pas à nous faire inviter à des réunions comme par le passé, a déclaré M. Perry.

« Ce n’est pas un salon de discussion ou un forum pour se rencontrer et tenir des réunions. C’est un endroit où vont aller les pays qui cherchent à faire de sérieux investissements pour faire face à de graves problèmes dans leurs relations de sécurité. »