(Québec et Montréal) Le REM fait trop de bruit dans Griffintown, Pointe-Saint-Charles et L’Île-des-Sœurs, reconnaît son propriétaire, CDPQ Infra. La filiale de la Caisse de dépôt promet des correctifs pour réduire le niveau de décibels qui s’avère plus élevé que prévu à certains endroits.

En entrevue à La Presse, son PDG, Jean-Marc Arbaud, annonce l’ajout de murs antibruit, l’installation de pièces le long de la voie ferrée pour absorber les vibrations et des travaux de meulage sur les rails afin de les rendre plus lisses. Ces mesures n’entraîneront pas selon lui un nouveau report de la mise en service du REM entre Brossard et la gare Centrale de Montréal, prévue d’ici la mi-août.

C’est la première fois que le PDG de CDPQ Infra réagit à la grogne suscitée par le bruit du passage du REM. Les trains fonctionnent pour le moment en « marche à blanc », c’est-à-dire à une fréquence normale, mais sans passagers.

PHOTO D’ARCHIVES FLORIAN LEROY, COLLABORATION SPÉCIALE

Le PDG de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud

Des mesures prises la semaine dernière par La Presse, avec un sonomètre, avaient permis de constater que le bruit généré par le REM dépasse régulièrement les 70 décibels, parfois même la barre des 75, dans Pointe-Saint-Charles notamment. Ces chiffres dépassent les seuils jugés acceptables par la Santé publique, ce qui inquiète grandement les résidants.

« On est très sensible à la situation apportée par l’ensemble des riverains et on prend le dossier très au sérieux », dit Jean-Marc Arbaud. « Il faut absolument considérer le problème et amener des améliorations. »

CDPQ Infra réalise ses propres tests pour mesurer le bruit causé par le passage du REM dans cinq zones sur les territoires de Griffintown, Pointe-Saint-Charles et L’Île-des-Sœurs, là où la colère gronde. Elle ne veut pas divulguer les résultats pour le moment ni donner un aperçu du nombre de décibels atteint dans les quartiers concernés. Ses conclusions sont toutefois claires.

Les constats qu’on fait avec les tests, c’est qu’il y a certaines zones où on n’est pas satisfait du résultat […]. Dans certains endroits, on a des dépassements par rapport à ce qu’on avait prévu et donc potentiellement par rapport à certains règlements.

Jean-Marc Arbaud, PDG de CDPQ Infra

Il laisse ainsi entendre que le REM ne respecte pas, à certains moments et à certains endroits, la règlementation du gouvernement du Québec qui lui est imposée. Comme La Presse l’a déjà expliqué, cette règlementation permet au REM d’ajouter un nombre de décibels qui varie selon le niveau de bruit ambiant. Le calcul est basé sur une hausse moyenne de bruit sur une période de 24 heures.

« On ne veut pas qu’il y ait des dépassements par rapport aux règles imposées au REM. Aujourd’hui, il y a des réglages à faire pour qu’il n’y en ait pas. Et on veut que ce soit réglé », affirme Jean-Marc Arbaud. Il prend l’engagement de « faire mieux que la règlementation qui est imposée au REM ».

Il n’entre pas dans le détail des niveaux de décibels. « Je ne suis pas en train de débattre sur où est-ce qu’on va s’arrêter. Pour nous, il y a une situation, il y a quelque chose qui est dérangeant. Est-ce que c’est plus 1 ou plus 3, moins 1 ou moins 2 ? Ce n’est pas ça le véritable enjeu. Le véritable enjeu, c’est d’améliorer au mieux et de fournir un système de qualité. »

Si le niveau de décibels dépasse les prévisions de CDPQ Infra à certains endroits, c’est entre autres parce que « l’environnement a bougé » depuis le lancement du projet, selon M. Arbaud. Dans Griffintown, « il y a des buildings qui n’étaient pas là au début du projet », plaide-t-il. Sur Peel, la Ville de Montréal a retiré une voie de circulation automobile pour installer son Réseau express vélo. Cela a réduit le bruit ambiant, mais a du même coup baissé la marge de manœuvre de CPDQ Infra pour augmenter le volume avec son REM.

« Ça nous préoccupe vraiment »

« Dès les premières plaintes », CDPQ Infra « a mobilisé une équipe d’experts multidisciplinaires » afin de se pencher sur le bruit causé par le REM, soutient Jean-Marc Arbaud. « On est allé chercher des Européens pour résoudre des problèmes », insiste-t-il. « Ça nous préoccupe vraiment et on met tout ce qu’il faut en termes de compétences, d’études et de moyens pour amener la bonne solution à chaque secteur. »

Pour le moment, des murs antibruit sont aménagés sur seulement 0,9 des 16 kilomètres du tronçon de la première phase du REM entre la Rive-Sud et le centre-ville de Montréal. Il y en aura finalement davantage. « Pour être sûr que l’on respecte vraiment nos engagements et qu’on fait de la qualité, on a lancé la conception préliminaire de murs antibruit », annonce Jean-Marc Arbaud.

Sans en préciser la longueur, CDPQ Infra évoque la construction de murs dans les trois secteurs où le problème est le plus important (Griffintown, Pointe-Sainte-Charles et L’Île-des-Sœurs). Les analyses sont en cours.

CDPQ Infra procédera également à l’installation d’« absorbeurs dynamiques » sur les rails, des pièces qui servent à diminuer les vibrations et donc le bruit. « On en a déjà commandé en urgence pour en installer d’ici 8-10 jours sur 240 mètres pour pouvoir mesurer exactement les impacts », précise M. Arbaud. « On a même pris une précommande pour être capable de couvrir toute la distance, entre L’Île-des-Sœurs et la gare Centrale. On va être capable de faire ça le plus rapidement possible. »

Enfin, CDPQ Infra achètera les machines nécessaires pour procéder au meulage des rails. « C’est pour rendre la surface la plus lisse possible pour diminuer les bruits qui sont liés à des rugosités », explique-t-il. Le crissement du train sera ainsi réduit. « C’est un paramètre qu’on a du mal à imaginer, mais c’est un paramètre vraiment important. C’est assez technique et ça demande aussi des essais et des erreurs. »

Ces mesures ne seront pas toutes en place au moment de la mise en service du REM. Elles feront l’objet d’une annonce lors de laquelle l’échéancier sera précisé. Et quelle sera la facture de ces correctifs ? « On n’est pas là pour parler du coût, répond Jean-Marc Arbaud. Ce n’est pas l’enjeu. L’enjeu, c’est de corriger. »

CDPQ Infra n’entend pas modifier le nombre de trains ni la fréquence de leurs passages afin de réduire le bruit à certains moments de la journée. Le REM sera en service 20 heures sur 24. Il passera toutes les deux minutes et demie aux heures de pointe avec quatre wagons ; toutes les cinq minutes le reste de la journée (deux wagons la nuit). Avec les mesures annoncées, « il faut avoir un effet à la baisse significatif » du niveau de bruit, soutient Jean-Marc Arbaud. « Maintenant, un train, c’est un système motorisé. Vous ne pourrez pas le rendre totalement silencieux. »

Bien accueilli dans le milieu

L’annonce de correctifs à venir pour réduire le bruit du REM n’a pas tardé de faire réagir, mercredi, dans les principaux quartiers concernés, où la mobilisation était grande depuis déjà quelques semaines. Certains demeurent toutefois sur leurs gardes.

À la Corporation de développement de Pointe-Saint-Charles Action-Gardien, qui multiplie les sorties depuis plusieurs mois avec des citoyens du secteur pour réclamer des mesures atténuant le bruit dans le quartier, on salue d’emblée l’ouverture de la Caisse de dépôt, en demeurant néanmoins prudents pour la suite.

« C’est positif, d’abord, qu’ils constatent qu’il y a effectivement des problèmes, mais on attend de voir. On va suivre tout ça avec grand intérêt pour voir si ce qui est proposé est suffisant dans les semaines à venir. Éventuellement, on refera un sondage pour voir si les gens sont satisfaits, ou si au contraire ils aimeraient plus de mesures », a expliqué son porte-parole, Simon Paquette, mercredi.

Il se demande toutefois « quel est le processus qui a mené à ces choix » par CDPQ Infra.

On se demande s’ils vont prendre ces mesures-là partout sur le réseau ou s’ils vont juste être en réaction à certains quartiers où ça a un impact présentement. Il y a d’autres quartiers qui pourraient bientôt avoir les mêmes effets, donc c’est aussi une question d’équité.

Simon Paquette, porte-parole de la Corporation de développement de Pointe-Saint-Charles Action-Gardien

Il rappelle que plusieurs citoyens ont réclamé ces dernières semaines que la Caisse évalue la possibilité d’ériger une station dans Pointe-Saint-Charles, mais surtout, de réduire la vitesse des trains dans les courbes. « On a constaté dernièrement que les trains vont parfois plus lentement, donc on se demande encore si ce sont des tests qui sont faits en ce sens. On voit vraiment qu’il y a un effet, que c’est moins bruyant quand ça va moins vite », illustre le porte-parole.

Chez Trajectoire Québec, la directrice générale Sarah Doyon abonde en ce sens. « Chaque amélioration pour rendre le REM plus silencieux et donc plus acceptable pour les riverains, ça doit être accueilli positivement. Dans un monde idéal, évidemment que ça aurait été fait dès le départ, mais c’est normal qu’il y ait des apprentissages dans un projet comme ça », raisonne-t-elle.

« Si on réussit à faire de l’aérien pas trop bruyant pour les riverains, c’est une bonne chose pour d’éventuels projets de transport collectif », ajoute Mme Doyon, qui appelle surtout CDPQ Infra à « plus de transparence » pour prévenir au maximum « le décalage qu’il peut y avoir entre les promesses et la réalité, qui alimente souvent la frustration et le scepticisme » face au projet.

La mairesse Valérie Plante, elle, a soutenu mercredi que le REM « doit atteindre les plus hauts standards en matière d’infrastructures de mobilité durable ». « On se réjouit de voir CDPQ prendre des mesures supplémentaires pour limiter les nuisances sonores du REM auprès des riverains. Les mesures de protection qui seront en place étaient une condition importante du succès du projet et on salue la vigilance de CDPQ », a soutenu son attachée de presse, Catherine Cadotte.

« L’écoute est là et les mesures qu’ils prennent sont celles qui devaient être prises », juge de son côté le spécialiste en planification des transports, Pierre Barrieau. « Maintenant, ce qu’il reste, ça serait la création d’un comité conjoint de suivi avec Montréal, Brossard, CDPQ et les gens du ministère pour faire un monitoring en continu durant les deux premières années d’opération. Généraliser ces mesures ailleurs, aussi, ce sera le nerf de la guerre », conclut-il.