Le nouveau tracé 100 % souterrain du REM de l’Est, évalué à 36 milliards de dollars, prendrait « quatre ou cinq ans à construire » et serait en service vers 2036. Mais déjà, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, affirme qu’il faudra « travailler à réduire les coûts et la facture globale » de cette nouvelle mouture.

« Si on avait le feu vert pour un démarrage du projet dans les prochains mois […], on aurait une mise en service autour de 2036 », a expliqué mardi le responsable du Projet structurant de l’Est (PSE), Marc Dionne, en conférence de presse. Il affirme qu’avant d’entamer la construction, il faudrait procéder à des appels d’intérêt, des appels d’offres et des travaux d’ingénierie.

Dès samedi, La Presse avait révélé que le comité derrière le projet recommande un tracé de Pointe-aux-Trembles au cégep Marie-Victorin, dans Montréal-Nord, avec deux points de connexion à la ligne verte du métro, en plus d’un prolongement de quatre stations vers Rivière-des-Prairies, Laval et Charlemagne. Les experts plaident pour une voie 100 % souterraine. La facture finale atteindrait 36 milliards. Le projet ferait 34 km et l’achalandage, en pointe du matin, serait de 29 000 passagers.

Dans sa forme actuelle, le chantier devrait « prendre quatre ou cinq ans », a avancé M. Dionne. C’est le gouvernement Legault qui devra toutefois trancher avant d’entamer quoi que ce soit.

Selon nos informations, la décision de la ministre Guilbault ne viendra pas avant l’automne. « Le rapport nous donne des pistes et des recommandations à analyser et prendre en compte pour la suite. Cela dit, c’est certain que la proposition qui est faite dépasse la capacité de payer des Québécois », a réagi mardi son attachée de presse, Léonie Bernard-Abel.

« Il va falloir travailler à réduire les coûts et la facture globale à laquelle est arrivée l’ARTM. Nous poursuivrons, avec tous les partenaires, l’analyse du projet et des prolongements possibles », a-t-elle ajouté.

Au comité exécutif montréalais, la responsable de la mobilité, Sophie Mauzerolle, a émis le même son de cloche. « On doit se retrousser les manches afin de trouver des solutions pour minimiser les coûts du projet. On est en train de dessiner le Québec de demain. Si on veut véritablement répondre aux besoins futurs de nos populations, on doit innover et trouver de nouveaux modes de réalisation et de financement », a-t-elle noté.

Un chantier à scinder ?

Interrogé à savoir s’il est réaliste de penser qu’un projet de 36 milliards verra le jour, le directeur par intérim de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), Ludwig Desjardins, s’est quant à lui montré prudent. « On prenait quelque chose de très avancé pour le recadrer. Nous, on n’est pas à l’étape de recommander son financement. En fait, la capacité de financer reste à attacher », a-t-il répondu.

Pour « mieux contrôler les coûts », Marc Dionne, lui, suggère d’évaluer la réalisation du projet en plusieurs phases.

Ça sera à voir si on peut scinder le tout en deux, trois ou quatre phases. Il faudra évaluer ça sur plusieurs paramètres comme la base de coût, la mobilité, les temps de parcours.

Marc Dionne, responsable du Projet structurant de l’Est

Bon nombre de facteurs peuvent expliquer une facture aussi importante. D’abord, il y a le fait que sept stations envisagées à l’origine comme aériennes devront être souterraines. Puis, la « provision aux risques » – on parle, par exemple, de surchauffe du marché prolongée ou d’un tremblement de terre – fait majorer le coût de 50 %. Enfin, l’estimation prend en compte l’inflation, évaluée à 30 % dans la prochaine décennie, et des pertes fiscales d’environ 15 %. La facture initiale du comité de 17 milliards passe donc à 36 milliards.

La liaison du REM de l’Est avec Mascouche ou Terrebonne est pour l’instant écartée, ce qui déçoit vivement les maires du nord-est de Montréal. Ils avaient réclamé en mai la garantie d’un prolongement à l’extérieur de l’île. « On condamne non seulement nos citoyens actuels à subir l’enfer de la congestion routière, mais on met également en péril la création de logements pour les années à venir », a illustré lundi le maire de Mascouche, Guillaume Tremblay.

Des moyens, des bénéfices

Pour Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, la facture même du projet montre « qu’on est encore loin de le réaliser ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal

« Il faut réfléchir aux moyens dont on dispose, et aux bénéfices qu’on cherche. La première chose à dire, selon moi, c’est qu’on n’a pas besoin d’un métro en souterrain dans ce secteur-là. Ce n’est pas approprié pour le territoire à desservir. Je privilégierais beaucoup plus des tramways sur rue, avec voies réservées, ou des bus électriques à haut débit », soutient-il.

Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal, estime quant à elle que la facture de 36 milliards illustre l’étendue du rattrapage à faire au Québec. « Quand on se déplace partout dans le monde, les projets de transport collectif, ils se font en continu. Ils ont l’habitude de prévoir de nouvelles stations. On n’arrive pas avec des projets de cette ampleur après n’avoir rien fait pendant des années. Ça fait une grosse bouchée à prendre quand tu ne fais rien pendant longtemps », résume-t-elle.

La plupart des experts s’inquiètent d’ailleurs que le tracé n’a toujours aucune connexion avec le centre-ville, même en souterrain. La ministre Guilbault a toutefois prévenu dans les derniers mois que le lien avec le cœur de la métropole pourrait être envisagé dans un deuxième temps.

Ils ont dit 

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Le coût annoncé de 36 milliards de dollars est très élevé. Il y a un risque que la facture élevée fasse dérailler le projet. Le défi sera d’obtenir le financement colossal requis pour aller de l’avant.

Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM)

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Sarah Doyon, directrice générale de Trajectoire Québec

Le rapport n’inclut pas d’évaluation d’autres tracés ou d’autres modes de transport, ni une éventuelle connexion avec le centre-ville, si bien qu’il est impossible de savoir si le projet proposé est le meilleur projet au meilleur coût.

Sarah Doyon, directrice générale de Trajectoire Québec

[Il faudra] faire les choix et trouver les solutions qui s’imposent afin d’assurer la réalisation d’un [Projet structurant de l’Est] efficace dans un cadre financier acceptable. Le temps presse puisque chaque jour, l’inflation fait son œuvre.

Jean-Denis Charest, président de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal (CCEM)

La planification n’est pas lancée sur de bonnes bases. De nombreuses options ne sont pas étudiées comme le prolongement du métro, un tracé vers le centre-ville ou la complémentarité avec les services rapides par bus ou le tramway.

Emmanuel Rondia, directeur général du CRE-Montréal