Il y a un an et des poussières, le Québec se prenait d’affection pour un… agronome.

Louis Robert était un lanceur d’alerte du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) injustement congédié pour avoir dénoncé des saloperies dans un centre de recherche financé par vos taxes, mais contrôlé par l’industrie privée.

Le centre de recherche, c’est le Centre de recherche sur les grains (CEROM). Des scientifiques – payés par vos taxes, j’insiste – tentaient de faire de la recherche sur un sujet d’intérêt vital : l’efficacité réelle des néonicotinoïdes dans les grandes cultures (soja, maïs).

Néonicotinoïdes : insecticides qui enrobent les semences, pour combattre certains parasites. Surnom des « néonics » : tueurs d’abeilles.

Abeilles : insectes essentiels à la pollinisation. Depuis quelques années, les colonies d’abeilles sont dévastées par un mal mystérieux. Suspect numéro un : les néonicotinoïdes.

Pollinisation : transport de grains de pollen d’une plante, d’une fleur à l’autre. La pollinisation est essentielle dans la chaîne alimentaire, essentielle aux humains.

Donc, pour revenir à Louis Robert, c’est ce qui lui a valu d’être congédié – avant d’être réembauché – par le MAPAQ : avoir informé des journalistes comme Thomas Gerbet de Radio-Canada que le CEROM tentait d’empêcher des scientifiques de faire de la recherche sur les effets réels des nénonics tueurs d’abeilles.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

L’agronome Louis Robert

Je vous ai dit que le CEROM était contrôlé par des intérêts privés. Parmi eux, des vendeurs de pesticides et d’insecticides. Parmi eux, eh oui, des vendeurs de… néonicotinoïdes.

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Louis Robert a donc été réembauché, dans l’honneur et dans la dignité. L’affaire Robert a débouché sur une commission parlementaire qui portait justement sur les pesticides dans nos champs, commission qui vient de faire connaître ses « recommandations ».

Mais qu’en est-il des chercheurs du CEROM, ceux qui devaient subir de la politicaillerie pour les empêcher de mener en toute quiétude leurs recherches sur les effets réels des néonicotinoïdes ?

Eh bien, la crise a eu raison de leur lien d’emploi avec le CEROM. Ils ont fini par partir.

Mais, comme l’a rapporté Daphné Cameron de La Presse cette semaine, leur fameuse étude a finalement été publiée dans une revue scientifique, PLOS One. Titre de la publication : « Impacts of neonicotinoid seed treatments on soil-dwelling pest populations and agronomic parameters in corn and soybean in Quebec ».

Conclusion : moins de 5 % des champs au Québec ont un taux d’insectes justifiant le recours à des semences enrobées d’un insecticide. Dans plus de 95 % des cas, les néonics sont donc… inutiles.

Or, le ministère de l’Environnement estimait en 2015 que les semences enveloppées de néonicotinoïdes étaient utilisées sur presque 100 % des superficies de culture de maïs et plus de 50 % des superficies de culture de soya.

Les conclusions des chercheurs québécois Labrie, Gagnon, Vanasse, Latraverse et Tremblay publiées cette semaine confirment les conclusions d’autres études. Elles font écho à celles d’autres études touchant d’autres types de pesticides et produits agricoles. Ils sont très, très souvent surutilisés.

Pourquoi cette surutilisation qui, dans le cas des néonicotinoïdes, par exemple, peut avoir des effets catastrophiques sur l’écosystème qui permet la vie animale et humaine ?

Parce que l’industrie s’est immiscée dans le conseil aux agriculteurs, à la faveur d’un retrait de l’État, sans parler de la recherche.

Donc, là où l’essentiel du conseil agronomique dispensé aux agriculteurs provenait jadis d’agronomes employés par l’État qui n’avaient aucun produit à vendre, ce conseil est désormais dispensé par des agronomes travaillant dans le privé.

Un agronome au privé ? Eh oui, ça s’appelle aussi un vendeur (de pesticides, d’insecticides, de fongicides).

L’ex-présidente de l’Ordre des agronomes du Québec Claire Bolduc a confié il y a un an à La semaine verte qu’à la fin des années 80, la majorité des agronomes travaillaient pour Québec ou Ottawa. Ils ne sont plus que 12 % à travailler pour l’État. Les autres sont au privé. Ils sont employés par des entreprises qui vendent des pesticides.

Dans un autre épisode de La semaine verte, on présentait aussi un topo sur Louis Robert, alors que l’agronome n’était pas encore le célèbre lanceur d’alerte qu’il est devenu. On voyait Louis Robert conseiller des agriculteurs sur les façons les plus douces de rendre le sol plus fertile.

Je cite un agriculteur, dans ce topo : « Le messager qui est le plus présent sur nos fermes, c’est le représentant de compagnie. Pis lui, il prône pas un discours comme celui que Louis vient de dire […]. C’est dirigé. C’est des conseils dirigés pour qu’on consomme plus. »

C’est pour ça que les néonicotinoïdes sont presque partout alors qu’ils ne sont utiles à peu près nulle part. Parce que le gars qui conseille les agriculteurs leur conseille d’acheter les trucs qu’il vend.

Oui, bon, c’est mauvais pour les abeilles. Mais c’est excellent pour les vendeurs de semences enrobées de néonicotinoïdes.

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Je résume. Il y a donc eu l’automne dernier une commission parlementaire sur l’utilisation des pesticides au Québec, dans la foulée de l’affaire Robert. Le rapport a connu un accouchement difficile, disons.

La commission recommande toutes sortes de choses… Mais pas d’empêcher les agronomes de porter le double chapeau de conseiller et de vendeur !

C’est pourtant au cœur du problème de la surutilisation de produits comme les néonicotinoïdes qui a mené à cette commission parlementaire.

Et l’Ordre des agronomes, reflet fidèle de l’agronomie sous influence du fric des pesticides, est tout à fait d’accord…

Dans le titre de cette chronique, je pose une question : « Et les abeilles ? » La réponse de l’État est claire : « Fuck les abeilles. » Ça aurait dû être mon titre, mais je sais que le samedi, vous faites parfois lire La Presse à vos enfants…