L’Ordre des agronomes est en faveur de la séparation de l’acte de prescription des pesticides de celui de la vente de pesticides… mais seulement sur la facture du produit acheté par l’agriculteur.

Voilà la principale solution présentée hier par le président de l’Ordre, Michel Duval, à cette question controversée qui est au cœur des débats de la commission parlementaire sur les impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement. Ce dernier admet toutefois que « dans un monde idéal », la séparation des deux fonctions, « peut-être que ça pourrait être la solution parfaite ».

« Mais actuellement, on ne vit pas dans un monde idéal, on travaille avec des contraintes d’organisation de marché. Dans les années 80, quand le ministère de l’Agriculture a décidé de laisser le service-conseil pour se départir graduellement de sa main-d’œuvre, les entreprises ont trouvé que c’était une opportunité pour eux d’avoir des professionnels qui connaissaient l’agronomie et qui pouvaient aussi expliquer la complexité des produits utilisés à la ferme », a-t-il expliqué.

Actuellement, la réglementation provinciale force les agriculteurs qui veulent recourir à cinq molécules classées « les plus à risque » à obtenir l’autorisation d’un agronome avant de le faire. C’est le cas de l’atrazine, du chlorpyrifos et des trois insecticides de la famille des néonicotinoïdes.

Comme les médecins qui prescrivent les médicaments et les pharmaciens qui les vendent, les deux rôles devraient être séparés, croient plusieurs groupes qui seront entendus à la commission cette semaine.

Depuis les années 90, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) a perdu 44 % de ses agronomes. Ils sont aujourd’hui 351 et, en règle générale, ils ne travaillent pas dans le domaine des pesticides.

Plus de pouvoirs, malgré des lacunes

L’entrée en vigueur de la prescription agronomique a permis de faire fondre d’environ 40 % les ventes d’atrazine au Québec en 2017. Lors de la première séance de la commission parlementaire, en mai dernier, le ministère de l’Environnement a toutefois révélé que 15 agronomes ont délivré la moitié des 1500 ordonnances nécessaires pour acheter ce produit.

De son côté, l’Ordre des agronomes a aussi remarqué des lacunes dans l’application de ce règlement : 40 % des 36 agronomes inspectés l’an dernier ont montré diverses non-conformités en lien avec la nouvelle réglementation en ce qui a trait à l’atrazine. De ce nombre, cinq présentaient des lacunes graves. Personne n’a reçu de sanctions pour l’instant.

Malgré ces manquements, l’Ordre des agronomes demande maintenant à Québec de resserrer la réglementation. Elle veut obtenir le pouvoir de prescription des 370 autres matières actives vendues au Québec et qu’on retrouve dans 1200 formulations commerciales en vente libre.

Les autres pesticides sont en vente libre, donc peu importe la structure que vous allez mettre en place au niveau des agronomes, si on n’a pas d’encadrement législatif pour nous permettre d’agir dans ce cadre-là, les pesticides vont continuer à se faire acheter par à peu près n’importe qui, à la dose qu’ils vont vouloir, à l’application qu’ils veulent.

Michel Duval, président de l’Ordre des agronomes

Le fait d’inscrire sur la facture du produit le prix du service-conseil donné par l’agronome employé d’un distributeur de pesticides et le prix du produit permettrait à l’Ordre de faire un meilleur audit du travail de ses membres, pense-t-il.

La Coop fédérée défend les bandes riveraines

Les députés de l’Assemblée nationale ont aussi entendu le témoignage de La Coop fédérée, qui souligne que les dentistes et les optométristes peuvent aussi conseiller ou prescrire un traitement tout en distribuant ledit produit, sans pour autant être en conflit d’intérêts.

La Coop fédérée est l’une des plus grandes entreprises du Québec. Elle est la propriété de 120 000 membres producteurs agricoles et consommateurs. La vente de pesticides représente 1 % de son chiffre d’affaires de 6,3 milliards.

« En tant que plus grands joueurs au Québec, nous avons accès à pratiquement toutes les gammes de produits de tous les fournisseurs […]. Nos agronomes ont la liberté d’écouter les producteurs agricoles tout en conservant une totale liberté face aux fabricants », a expliqué Sébastien Léveillé, agronome et vice-président exécutif de La Coop fédérée et chef de la direction chez Sollio Agriculture (une division de La Coop fédérée qui représente 300 agronomes).

La Coop fédérée a aussi plaidé en faveur d’un meilleur respect des bandes riveraines. Une enquête publiée dans La Presse samedi dernier démontrait que le règlement provincial n’est pas toujours appliqué par les municipalités. Ce règlement demande aux agriculteurs de ne pas cultiver à moins de 3 mètres des cours d’eau.

« Pour faire les campagnes, on voit qu’elles ne sont pas suffisamment respectées et on sait qu’elles ne sont pas surveillées adéquatement », a expliqué M. Léveillé.

La Coop fédérée préfère cependant le modèle de la « carotte » plutôt que celui du « bâton » sous forme de compensation financière.

Étrangement, les membres de la commission parlementaire n’ont pas questionné les représentants de La Coop fédérée sur la controverse au Centre de recherche sur les grains (CEROM), alors que des représentants de l’entreprise ont siégé au conseil d’administration.

Rappelons que le lanceur d’alerte Louis Robert a perdu son poste au MAPAQ pour avoir dénoncé l’ingérence du privé dans la recherche au sein de ce centre de recherche financé en majeure partie avec de l’argent public.

Ils ont dit

On n’a jamais demandé l’interdiction totale des pesticides. On va continuer de demander par contre, du moins, la réduction drastique des pesticides les plus à risque, ceux pour lesquels la littérature scientifique émet des doutes importants.

Nadine Bachand, chargée de projet, pesticides et produits toxiques, chez Équiterre

Il faut éviter le conflit d’intérêts. Il est inadmissible que des agronomes qui bénéficient économiquement de la vente des pesticides puissent les prescrire. Les pharmaciens et les médecins sont deux professions distinctes, ça devrait être la même chose en agriculture.

Louise Hénault-Ethier, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki

Si on m’enlevait [l’herbicide Roundup], ça veut dire qu’on travaille le sol. Ça me coûterait 500 000 $ en machinerie et 20 000 $ de plus en carburant, 15 000 $ de plus en entretien de machinerie, 20 000 $ de plus au niveau des fertilisants, 30 000 $ de plus pour des produits de phytoprotection, et j’aurais besoin d’un employé saisonnier à 20 000 $. C’est beaucoup d’argent quand même, il faut y penser. Si on ajoute l’indice de risque pour la santé, je pense que moi, je quitterais le travail.

Jocelyn Michon, producteur agricole qui utilise la technique du semis direct et qui a abandonné l’usage d’insecticides et de fongicides