Oh non, les Canadiens ne bouderont pas leur plaisir avec la baisse des taux d’intérêt qui redonne enfin de l’oxygène à leur budget. Mais l’annonce de la Banque du Canada cache une vérité qui fait encore plus mal à leur portefeuille, même si tout le monde l’ignore.

Tant mieux si l’inflation est revenue à un niveau plus facile à avaler, ce qui a permis de réduire le taux directeur, de 5 % à 4,75 %. Et ce n’est qu’un début. Les économistes s’attendent à ce qu’il baisse autour de 4 % d’ici la fin de 2024.

Bien des propriétaires de maisons vont pousser un grand ouf. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) aussi. Lui qui a le mandat de surveiller les risques qui guettent l’industrie financière canadienne a prévenu en mai qu’un choc de renouvellement hypothécaire guette le pays.

Il faut savoir que les trois quarts (76 %) des prêts hypothécaires au Canada seront renouvelés d’ici la fin de 2026. Les propriétaires se retrouveront alors avec des paiements plus élevés, particulièrement ceux qui ont contracté leur prêt lorsque les taux d’intérêt étaient nettement plus bas, entre 2020 et 20221.

C’est pourquoi le BSIF s’attend à une augmentation du nombre de prêts en souffrance ou en défaut.

Dans ce contexte, toute baisse de taux est donc très bienvenue. Pour vous donner une idée, une réduction de 100 points de base (1 point de pourcentage) ferait baisser les paiements de près de 3000 $ par année sur une hypothèque de 400 000 $.

Réjouissant ! Oui, mais il y a un revers à la médaille.

Si notre banque centrale est la première des pays du G7 à réduire son taux directeur, c’est que notre économie manque de tonus, surtout quand on la compare à celle des États-Unis qui roule à fond de train.

Si ce n’était de l’accroissement insoutenable de la population, en raison de l’immigration, le Canada serait en récession depuis pratiquement deux ans.

En fait, quand on observe le produit intérieur brut (PIB) réel par habitant, on réalise que le Canada est au point mort depuis 2014. Autrement dit, les 10 dernières années ont été une décennie perdue sur le plan de la croissance économique.

Ce triste constat a un effet direct sur notre niveau de vie. Si le Canada était au même niveau que son voisin américain, chacun d’entre nous aurait l’équivalent de 20 000 $ de plus par année, selon les calculs de l’équipe économique de RBC2.

Pourquoi ce grand écart ? À qui la faute ? Au manque de productivité chronique du Canada qui s’est accentué depuis la pandémie.

La productivité peut sembler un vague concept économique. Mais il s’agit tout simplement de la valeur qu’on parvient à produire pour chaque heure travaillée. C’est la base d’une économie en santé qui permet de financer les services publics et d’offrir des augmentations de salaire aux travailleurs.

Or, la baisse des taux d’intérêt au Canada pourrait nuire encore plus à notre productivité, dans la mesure où les États-Unis pourraient attendre jusqu’à la fin de l’année avant de baisser eux aussi leur taux, puisque leur économie sent encore la surchauffe.

Cette divergence de politique monétaire risque de faire perdre de l’altitude à notre huard que plusieurs économistes voient tomber de 73 cents US à 70 cents US… ou même sous ce seuil psychologique.

La faiblesse de notre devise fera grimper le prix de tous les produits importés, y compris de la machinerie dont les entreprises ont besoin pour optimiser leur processus et qui provient souvent de l’étranger.

Il est donc urgent de trouver des façons de rehausser notre productivité. « Il y a péril en la demeure », a prévenu la numéro deux de la Banque du Canada, ce printemps3.

À ce chapitre, il faut saluer deux récentes initiatives de la Coalition avenir Québec (CAQ) qui permettront de casser le corporatisme néfaste.

D’abord, la réforme de l’industrie de la construction pilotée par le ministre Jean Boulet amènera des gains d’efficacité en brisant les silos inutiles entre les corps de métiers.

Et ensuite, la réforme du Code des professions dévoilée cette semaine par la ministre Sonia LeBel améliorera les services de santé, en donnant plus de latitude à certains professionnels comme les pharmaciens ou les experts en santé mentale. Elle permettra aussi à des professionnels de l’extérieur du Québec (ingénieurs, médecins, etc.) d’obtenir plus facilement un permis restreint pour pratiquer chez nous.

Mais il existe de nombreuses autres solutions pour améliorer la productivité, un enjeu crucial pour le Canada, comme nous l’avons déjà plaidé4,5.

Des exemples ?

• Briser les barrières commerciales entre les provinces qui nous coûtent très cher.

• Alléger la bureaucratie (il faut attendre trois fois plus longtemps qu’aux États-Unis pour obtenir un permis de construction !).

• Faire un grand ménage dans la fiscalité des entreprises qui est exagérément complexe.

• Mieux intégrer la technologie dans les entreprises, notamment l’intelligence artificielle.

• Bonifier la formation continue des travailleurs.

Une baisse de taux d’intérêt, c’est bien beau. Mais si on veut vraiment que les Canadiens aient plus d’argent dans leurs poches, c’est sur la productivité qu’il faut miser.

1. Consultez le rapport « Regard annuel sur le risque – Exercice 2024-2025 » 2. Lisez le texte de la RBC « Le défi de la croissance au Canada : pourquoi l’économie est au point mort » 3. Lisez le discours « L’heure a sonné : réglons le problème de productivité du Canada » 4. Lisez l’éditorial « Urgence productivité : pourquoi notre niveau de vie prend le bord ? » 5. Lisez l’éditorial « Urgence productivité : sortir le Canada de ses pantoufles »