Plus d’un an après la mort de la sergente Maureen Breau, lors d’une intervention qui a mal tourné, tout reste à faire pour éviter un autre drame.

Alors, on ne peut que se réjouir d’apprendre que Québec présentera bientôt un projet de loi pour mieux outiller les policiers qui interviennent auprès de suspects avec un historique de troubles mentaux, comme l’a annoncé le premier ministre François Legault, lundi.

Il va de soi que les policiers devraient savoir à qui ils ont affaire lorsqu’ils débarquent chez une personne jugée non criminellement responsable (NCR) qui a été remise en liberté sous conditions. Élémentaire, mon cher Watson.

Mais il faut aller beaucoup plus loin.

À la lumière de rapports du coroner sur d’autres tragédies, il est clair qu’il faut revoir de fond en comble la façon dont on s’occupe des personnes NCR, comme nous l’avons déjà plaidé1.

Mais il est aussi crucial de colmater les nombreuses failles dans l’organisation de la Sûreté du Québec (SQ) qui ont joué un triste rôle dans la mort de Maureen Breau… des failles qui sont encore bien visibles, selon un rapport de suivi de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) déposé en avril.

Parlons d’abord des lacunes dans l’évaluation des risques.

Dès le début des années 2010, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a développé une grille pour évaluer les risques d’une intervention et déterminer les meilleures stratégies à adopter.

Or, les patrouilleurs de la SQ n’utilisent pas ce genre d’outil qui aurait pu tout changer.

En effet, l’assaillant de Maureen Breau, Isaac Brouillard Lessard, était connu des policiers, qui savaient qu’il avait un long couteau dans son logement, à Louiseville, où ils s’étaient rendus trois jours plus tôt.

Quand ils sont retournés l’arrêter, pour menace de mort, l’utilisation d’une grille d’évaluation les aurait aidés à établir que le niveau de risque était suffisamment élevé pour faire appel à un groupe d’intervention tactique (GTI), mieux équipé.

Le hic, c’est que le territoire de la SQ est vaste. Il faut parfois de longues heures avant de déployer les GTI en région. Sans avoir la « SWAT » dans tous les patelins, la SQ pourrait implanter des groupes d’intervention intermédiaires, à travers la province, afin de prendre en main des situations modérées plus rapidement.

La supervision est une autre carence chronique de la SQ.

Maureen Breau était superviseure depuis de longues années, même si elle n’avait jamais reçu la formation initiale pour ce poste, malgré ses demandes répétées. Il ne s’agit pas d’un cas isolé.

Le pire, c’est que lorsque les superviseurs prennent congé, leurs remplaçants sont souvent choisis en fonction de leur ancienneté – convention collective oblige – plutôt que leurs compétences.

Il arrive donc qu’un patrouilleur prenne la relève de son superviseur « sans avoir les connaissances ou l’expérience nécessaires pour exercer cette fonction », déplore la CNESST, qui n’a constaté aucun correctif concret quatre mois après avoir semoncé la SQ.

Inquiétant.

En fait, l’ensemble des policiers manque cruellement de formation continue.

Ce n’est pourtant pas du luxe. C’est ce qui permet de mieux se préparer (par exemple, en apportant des pistolets à impulsions électriques) et d’avoir les réflexes bien aiguisés pour réagir dans le feu de l’action (par exemple, en gardant ses distances et en maintenant des obstacles par rapport au suspect).

Le jour où Maureen Breau est morte, tout s’est passé autrement.

Les policiers se sont laissés surprendre, ce qui a mené à trois réactions normales du cerveau humain face au danger : un premier policier s’est figé et s’est fait poignarder après avoir cogné à la porte ; un deuxième a fui ; Maureen Breau, quant à elle, a foncé au secours de son collègue. Elle l’a payé de sa vie.

Pour la CNESST, l’ensemble des policiers de la SQ devraient suivre les formations de maintien des compétences en intervention policière (MCIP) et de réponse à un état mental perturbé (REMP).

Malheureusement, la formation REMP, qui mise sur la verbalisation pour éviter l’usage de la force, a été implantée au compte-gouttes à la SQ à cause des réticences internes dues au choc de culture.

Et de manière générale, la formation se bute au manque d’instructeurs et à la désuétude des centres de formation en région. Pour s’en sortir, pourquoi ne pas miser sur des coachs dans les postes de police, comme des experts l’ont proposé lors de l’enquête du coroner ?

Et pourquoi ne pas s’assurer que l’école nationale qui forme les nouveaux policiers utilise la même terminologie que celle employée dans la formation continue des policiers actifs ? Tout le monde parlerait le même langage…

Bien sûr, le rapport de la coroner, attendu l’automne prochain, apportera des recommandations fort utiles. Mais d’ici là, il est rassurant de savoir que la CNESST a le pouvoir d’exiger des modifications, tant et aussi longtemps qu’elle ne sera pas satisfaite des actions mises en place par la SQ.

Qu’elle le fasse au nom de Maureen.

1. Lisez l’éditorial « Libres et dangereux »