Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, Justin Trudeau a jeté son ancre budgétaire dans des sables mouvants. Pour arrêter la dérive, il serait temps que le fédéral se dote d’un cadre rigoureux, comme celui qui a permis au Québec d’assainir ses finances publiques de façon remarquable depuis un quart de siècle.

L’énoncé économique déposé mardi par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, prouve que les libéraux ne peuvent pas continuer à dépenser allègrement, en accumulant déficit par-dessus déficit, sans finir par en payer le prix.

Ce prix, il se mesure en intérêts, alors que la remontée des taux fait grimper le service de la dette. Et pas qu’un peu. Sur trois ans, les frais d’intérêts vont carrément doubler pour atteindre 52,4 milliards en 2024-2025 et ensuite toucher 60,7 milliards en 2028-2029.

Tout cet argent qui sert à rembourser la carte de crédit nous prive d’une importante marge de manœuvre et nous empêche de sortir la tête de l’eau. En effet, c’est en majeure partie à cause de la hausse des frais d’intérêt que les déficits cumulés des cinq prochaines années seront 36 milliards plus élevés que ce qui était prévu il y a six mois à peine.

Bref, plus on s’endette, plus ça coûte cher d’intérêts… ce qui creuse le déficit. Plus on creuse le déficit, plus on gonfle la dette… ce qui coûte plus cher d’intérêts. C’est une spirale malsaine.

On ne remet pas en question les interventions massives durant la pandémie qui ont fait bondir la dette.

Mais au-delà de la mégafacture pandémique, les libéraux ont considérablement accru leurs dépenses de programmes, qui sont passées de 315 milliards en 2018-2019 à 439 milliards en 2022-2023. Il s’agit d’un surprenant taux de croissance de presque 9 % par année.

Répétons-le : il ne s’agit pas de dépenses temporaires liées à la COVID-19, mais bien de dépenses récurrentes attribuables à l’augmentation du nombre de fonctionnaires ou encore à l’ajout de nouveaux programmes comme le service de garderies ou l’assurance dentaire.

Désormais, la ministre des Finances marche sur des œufs. Elle est coincée entre la nécessité de contenir les dépenses et la pression pour aider la population à faire face à la crise du logement.

Elle s’en est sortie en annonçant des mesures qui aident les citoyens, tout en ayant le mérite de ne pas coûter trop cher au Trésor public. Pensons entre autres aux règles pour réduire la location à court terme de type Airbnb.

Dans son énoncé, Chrystia Freeland a aussi promis de ramener le déficit à moins de 1 % de la taille de l’économie (PIB) à partir de 2026-2027. Le défi est grand, car toutes sortes d’autres dépenses vont se profiler : engagement à hausser les dépenses militaires, subventions à la filière batterie plus élevées que prévu, etc.

Alors, cette nouvelle cible fixée par la ministre des Finances ne sera-t-elle qu’un autre vœu pieux ?

Souvenez-vous lorsque les libéraux ont pris le pouvoir…

Stephen Harper venait d’adopter une loi sur l’équilibre budgétaire, après avoir lui-même enfilé les déficits dans un contexte économique pénible. Or, cette loi est allée très vite à la poubelle. Justin Trudeau plaidait plutôt pour de « modestes déficits » afin de stimuler l’économie, avant de retourner à l’équilibre en 2019.

Ce n’est jamais arrivé. Ni en 2019 ni par la suite. Sous le règne libéral, l’équilibre budgétaire est comme un mirage qui disparaît chaque fois qu’on pense s’en approcher.

Après la pandémie, les libéraux ont changé de cible budgétaire, visant désormais la diminution du taux d’endettement, c’est-à-dire du ratio dette-PIB. Or, voilà que ce ratio va augmenter de 41,7 % à 42,4 % cette année, puis à 42,7 % l’année suivante, avant de redescendre.

C’est mieux que le sommet de 48 % atteint au pire de la COVID-19, mais bien loin du niveau prépandémique de 31 %.

Quand on se compare, on se console, tempère la ministre Freeland en mettant l’accent sur le fait que le Canada a le meilleur taux d’endettement de tous les pays du G7, ce qui est vrai.

Sauf que si les taux d’intérêt restent plus hauts plus longtemps – c’est ce que la Réserve fédérale américaine disait mardi –, notre dette pourrait se mettre à peser très lourd. Et le ratio dette-PIB pourrait repartir sérieusement à la hausse.

Dépenser constamment sur la carte de crédit, ce n’est pas équitable pour les générations suivantes qui devront payer la note.

Pour l’avenir, il est donc essentiel d’éviter de lancer de nouveaux programmes, comme l’assurance médicaments que le NPD réclame, sans prévoir de nouvelles sources de revenus pour payer ces dépenses récurrentes.

De plus, il est temps de fixer dans une loi des cibles budgétaires claires, comme le Québec l’a fait depuis longtemps. Tous les pays de l’OCDE ont ce genre d’ancrages budgétaires. Tous sauf la Corée du Sud, la Turquie… et le Canada.

Ottawa doit jeter l’ancre, pour vrai.

La position de La Presse

Alors que les taux d’intérêt alourdissent le service de la dette, Ottawa doit s’abstenir de lancer de nouveaux programmes sans prévoir le financement, mais aussi se doter de cibles budgétaires claires.