« Je serai bien franc : le logement n’est pas une responsabilité fédérale principale », lançait Justin Trudeau à la fin de juillet.

Il n’avait pas tort. Les provinces et les municipalités en sont davantage responsables. Mais Ottawa a aussi un rôle à jouer, et M. Trudeau donnait l’impression de ne pas le prendre au sérieux. Quelques mois plus tard, la réalité le rattrape. Cette crise devient la priorité de sa mise à jour économique.

Dans le passé, les libéraux s’intéressaient au logement, mais ils ciblaient surtout la demande. Ils ont notamment aidé les premiers acheteurs en créant un nouveau compte, le CELIAPP, qui permet à la fois de réduire son revenu imposable (comme le REER) et d’empocher un rendement non imposable (comme le CELI).

Le cadeau plaisait aux électeurs. Mais il avait le défaut d’accélérer la montée fiévreuse des prix.

Cette fois, les libéraux ajustent leur approche.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, cible plutôt l’offre. Elle ajoute 15 milliards en prêts pour construire des appartements. Et plusieurs autres mesures seront à coût nul (ou mieux) pour l’État, comme la fin de déductions des dépenses pour les unités offertes sur Airbnb ou VRBO et de meilleures conditions pour négocier un prêt hypothécaire.

Sur le fond, c’est bien. Et stratégiquement, cette mise à jour fournit aux libéraux quelque chose de précieux : un peu de temps. Car si des élections avaient lieu demain, ils subiraient une raclée aux mains des conservateurs.

Mais le temps pourrait malgré tout leur manquer. Car il faudra patienter longtemps avant de voir l’effet des mesures. Et si elles fonctionnent, leur impact sera difficile à distinguer de celui des récentes annonces de provinces et de municipalités.

Sans oublier que même si les libéraux stimulent l’offre, ils augmentent en même temps la demande en maintenant l’immigration temporaire à un niveau record.

M. Trudeau doit espérer que deux choses arrivent dans les prochains mois. D’abord, une embellie économique, avec une inflation qui ralentit et des taux d’intérêt qui se stabilisent ou qui, par miracle, baissent un peu. Ensuite, une tempête politique, avec la crainte d’une élection de Donald Trump aux États-Unis qui inciterait des Canadiens à se méfier de Pierre Poilievre, malgré les nombreuses différences entre ces deux personnages.

En d’autres mots, cela ressemble à une prière.

Mme Freeland cherche un équilibre précaire entre des objectifs en apparence contradictoires : faire taire les conservateurs qui l’accusent de trop dépenser et plaire aux néo-démocrates qui réclament de l’aide pour les victimes de l’inflation et de la crise du logement.

Cette mission est d’autant plus périlleuse que les libéraux ont réduit leur marge de manœuvre en agissant de façon inhabituelle.

Un gouvernement préfère habituellement mener les réformes délicates en début de mandat. Il est alors plus populaire. Il a plus de chances aussi que les électeurs aient oublié à la prochaine campagne. Et au besoin, il peut invoquer le truc du « trou » laissé dans les finances publiques par son prédécesseur. En fin de règne, il distribue ensuite les offrandes électoralistes.

Le gouvernement Trudeau a fait le contraire. Par exemple, un choc se prépare avec l’Ouest au sujet de mesures environnementales costaudes encore en élaboration.

M. Trudeau a aussi été atypique quant à son approche économique. Un gouvernement essaie habituellement d’équilibrer son budget quand tout va bien, et fait des déficits pour stimuler la croissance en période de ralentissement. M. Trudeau, lui, se vantait de stimuler l’économie même quand elle surperformait, en misant sur des taux d’intérêt presque éternellement bas.

Résultat, les paiements sur la dette ont augmenté. Pour le seul mois d’août dernier, ils ont atteint 4,3 milliards de dollars, un record. Et une fois de plus, les déficits anticipés sont revus à la hausse.

Les libéraux se sont eux-mêmes menottés, et c’est ce qui force Mme Freeland à marcher aujourd’hui sur un fil de fer. Comme elle l’a rappelé mardi, les finances publiques du Canada sont dans un état plutôt enviable par rapport à celles des autres pays du G7. Mais cette analyse n’inclut pas de grosses dépenses à venir, comme la création d’un régime public universel d’assurance médicaments. Le projet de loi n’est pas déposé et selon l’alliance avec le NPD, il doit être adopté d’ici la fin de l’année, ce qui paraît plus que jamais improbable.

En novembre 2022, les libéraux avaient réussi à cibler les personnes vulnérables. Cette fois encore, ils s’intéressent aux bonnes priorités avec l’offre de logement. Reste à savoir s’il est trop tard pour en récolter les fruits électoraux.

Du temps, le gouvernement Trudeau en aura besoin en effet de beaucoup. Pour lui, freiner ne suffira pas. Il doit rebondir, et ses jambes semblent fatiguées.

Son sac à idées se vide aussi. Garder le pouvoir est un objectif compréhensible pour un gouvernement. Mais ce n’est pas un projet électoral vendeur pour la population, surtout quand elle est à ce point tentée d’aller voir ailleurs.