(Ottawa) Le ralentissement de l’économie canadienne et la hausse des taux d’intérêt plombent plus que prévu les finances du gouvernement fédéral et forcent la ministre des Finances, Chrystia Freeland, à revoir à la hausse la taille des déficits au cours des cinq prochaines années.

Ce qu’il faut savoir

  • Le gouvernement Trudeau accumule les déficits.
  • Ces déficits seront plus élevés à cause notamment de la hausse des taux d’intérêt.
  • Les frais d’intérêt de la dette atteindront les 58,7 milliards en 2027-2028. Ce montant est plus élevé que les transferts fédéraux aux provinces pour la santé.
  • Les partis de l’opposition critiquent vertement l’énoncé économique.

Le déficit devrait s’établir à 40 milliards de dollars en 2023-2024, comme cela était prévu dans le dernier budget fédéral, déposé en mars. Mais le manque à gagner sera plus élevé que les dernières projections de la ministre Freeland durant chacun des exercices financiers suivants. Entre 2024-2025 et 2027-2028, les déficits seront cumulativement plus importants de 36 milliards de dollars que ce qu’avait anticipé la grande argentière du pays il y a environ six mois.

Dans sa mise à jour économique dévoilée mardi, la ministre Freeland prévoit donc un déficit de 38,4 milliards de dollars en 2024-2025 (+ 3,4 milliards), de 38,3 milliards en 2025-2026 (+ 11,5 milliards), de 27,1 milliards en 2026-2027 (+ 11,3 milliards) et de 23,8 milliards en 2027-2028 (+ 9,8 milliards).

L’augmentation des frais d’intérêt liés à la dette accumulée explique en bonne partie cette hausse du déficit. Les frais de la dette passeront de 35 milliards de dollars en 2022-2023, à 58,7 milliards de dollars en 2027-2028 – une somme plus importante que les transferts fédéraux en santé aux provinces –, selon les projections contenues dans la mise à jour économique.

Résultat : l’encre rouge continuera à couler de façon abondante à Ottawa. Un retour à l’équilibre budgétaire n’est visiblement pas dans les cartons à court ou à moyen terme. Depuis son arrivée au pouvoir, en 2015, le gouvernement Trudeau n’a jamais présenté un budget équilibré.

La dette accumulée, elle, passera d’ailleurs de 1173 milliards de dollars en 2022-2023, à 1343,8 milliards en 2027-2028. En 2015, ce boulet financier s’élevait à environ 600 milliards.

Dans sa mise à jour économique, la ministre Freeland maintient que le gouvernement Trudeau s’astreint à une rigueur budgétaire et qu’il gère les finances publiques d’une manière « responsable ».

Elle souligne que la dette nette du Canada en proportion de l’économie demeure plus faible aujourd’hui que dans tout autre pays du G7 avant la pandémie – un avantage que le gouvernement Trudeau affirme vouloir maintenir à tout prix.

« Notre gouvernement a sorti près de 2,3 millions de Canadiennes et de Canadiens de la pauvreté. L’inflation descend et les salaires augmentent. Et les économistes du secteur privé prévoient maintenant que le Canada évitera la récession post-pandémique que bien des gens avaient prévue », a affirmé la ministre dans son discours à la Chambre des communes.

La croissance de l’économie sera anémique en 2024 : 0,4 % seulement. Dans le dernier budget, on tablait sur une croissance de 1,5 %. On prévoit toutefois une reprise en 2025. Le taux de croissance devrait atteindre 2,2 %.

La ministre a d’ailleurs annoncé une réduction des dépenses de 345,6 millions de dollars en 2025-2026 et de 691 millions de dollars par année par la suite. Ces économies s’ajoutent à celles de 15,4 milliards de dollars sur cinq ans déjà annoncées dans le dernier budget. Selon les calculs des fonctionnaires du ministère des Finances, ces mesures entraîneront des économies de 4,8 milliards de dollars par année en 2026-2027 et permettront « de ramener la fonction publique plus près de sa trajectoire de croissance d’avant la pandémie ».

Le gouvernement Trudeau annonce aussi son intention de réduire davantage « les investissements annoncés précédemment » qui ne sont pas affectés ou qui ne sont plus nécessaires. On évoque même la possibilité de les retarder lorsque le rythme de mise en œuvre est plus lent que prévu. On estime que cette politique entraînera des économies de 480 millions de dollars sur six ans à compter de cette année.

« Il nous reste du travail à accomplir. Mais notre plan économique fonctionne », a-t-elle ajouté, en faisant allusion notamment à la crise du logement et à la hausse du coût de la vie.

Un cadre financier « extrêmement précaire »

Selon Robert Asselin, premier vice-président au Conseil canadien des affaires, l’état des finances publiques se retrouve dans un état fragilisé après des années de déficits importants.

« C’est un cadre financier extrêmement précaire et fragile. Il n’y a vraiment plus de place pour les imprévus et les chocs économiques. Donc, s’il y a une récession, ces projections vont devenir plus dramatiques » a analysé M. Asselin.

« Malgré cela, nous avons un gouvernement qui a trouvé une façon de dépenser 21 milliards de dollars sur six ans dans un énoncé économique. Je vois des voyants orange. Et si on ajoute des pressions financières comme la création d’un programme national d’assurance médicaments, comme le veut le NPD, on va tomber dans une zone dangereuse pour les agences de cotation », a ajouté M. Asselin, qui a été conseiller de l’ancien ministre des Finances Bill Morneau.

Par ailleurs, le gouvernement Trudeau a décidé de mettre un peu d’eau dans son vin en ce qui a trait à l’imposition d’une taxe sur les services numériques au Canada après les multiples mises en garde servies par l’administration Biden à Washington.

La ministre Freeland compte toujours déposer un projet de loi au cours des prochaines semaines afin d’imposer une telle taxe aux géants du numérique comme Google, Meta et Amazon. Mais la date d’entrée en vigueur reste maintenant vague. Auparavant, Ottawa affirmait que cette taxe entrerait en vigueur le 1er janvier 2024, même si le Canada s’apprêtait à faire cavalier seul.