Ce qui devait arriver arriva. La cigale a chanté pendant huit ans et se trouve maintenant dépourvue.

Telle la fable de La Fontaine, les libéraux ont méprisé la rigueur budgétaire pendant les belles années et font face aujourd’hui à des déficits en croissance, alourdis par les frais d’intérêt sur la dette.

Le plus étonnant, c’est que l’énoncé économique de mardi ne donne pas l’impression que le gouvernement fédéral veut donner un coup de barre. Il suffit de jeter un œil à la croissance des dépenses de programmes pour s’en convaincre.

Cette année, ces dépenses augmentent assez peu (0,8 %), notamment parce que la page COVID-19 a été tournée et avec elle, la fin du soutien au loyer et aux revenus. Mais dès l’an prochain, les dépenses repartent rapidement à la hausse, malgré le déséquilibre budgétaire.

Au cours de l’année 2024-2025, donc, ces dépenses de programme bondissent de 5,6 %, puis de 3,9 % l’année suivante. Ces progressions sont nettement supérieures à l’inflation prévue par les experts du fédéral pour ces années, soit 2,5 % en 2024 et 2,1 % en 2025.

Et ce faisant, le fédéral fait exactement ce que le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a exhorté les gouvernements à ne pas faire, soit de doper leurs dépenses, car cela nourrit l’inflation que la Banque veut mater avec ses hausses de taux d’intérêt.

Oui, bon, le gouvernement fédéral est essentiellement un distributeur de chèques, pas un pourvoyeur de services, comme les provinces. Et ses dépenses de programmes se déclinent surtout en multiples transferts, souvent fort louables, de prime abord : allocations pour les enfants, prestations aux aînés, transferts aux provinces en santé, versements pour les garderies, subventions pour les usines de batteries électriques.

Diminuer de telles dépenses pour réduire le déficit signifierait nécessairement écorcher des particuliers – des électeurs – ou des provinces. La recette de l’ex-ministre des Finances, Paul Martin, pour ceux qui s’en souviennent, avait soulevé un tollé, bien qu’ayant porté ses fruits après quelques années.

Sauf que ce boom des dépenses de programmes était prévisible. Au cours de l’année financière 2018-2019, les charges de programmes s’élevaient à 315 milliards. Or, cette somme grimpera à 467 milliards l’an prochain, ce qui correspond à un rythme de croissance de 6,8 % par année pendant six ans ! Et oubliez la COVID-19, les dépenses qu’on y a temporairement consacrées n’en font plus partie.

« La bulle des dépenses n’est jamais retombée, même si la COVID-19 est terminée. Et c’est incompatible avec les revenus », constate l’économiste Louis Lévesque, de l’Association des économistes québécois (ASDEQ).

Quand les taux d’intérêt étaient bas, la situation apparaissait tolérable. Ce n’est plus le cas. À ces charges de programmes s’ajoutent maintenant des frais d’intérêt sur la dette en forte hausse, sur lesquels le fédéral n’a pas de contrôle.

Ces frais bondissent de 11,5 milliards de dollars cette année et de 5,9 milliards l’an prochain. Et le fédéral prévoit que ces frais resteront élevés par la suite. Ouch !

Bien sûr, les revenus finiront par réaugmenter, avec le retour de la croissance économique, le faible chômage et la croissance de la population, par l’immigration. Ottawa les voit bondir de 6 % en 2024-2025, suivi de 3,9 % l’année suivante. Les taux d’intérêt devraient aussi baisser.

Mais ce retour des beaux jours demeure incertain, avec les tensions géopolitiques, la démondialisation et les conflits en Ukraine et en Palestine.

Et quoi qu’il en soit, Ottawa prévoit dans son énoncé économique que les déficits seront presque deux fois plus lourds que ceux qui étaient prévus dans le budget de mars, au terme du cadre fiscal. Ils atteindront 27,1 milliards en 2026-2027 et 23,8 milliards en 2027-2028, contre une prévision, il y a huit mois, de 15,8 milliards et 14 milliards pour les mêmes années.

Entre-temps, le déficit avoisinera les 40 milliards pour l’année en cours et les deux suivantes.

Mardi, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a bien annoncé quelques mesures de resserrement des dépenses et des investissements. Mais ces nouvelles intentions, de l’ordre de 500 millions par année, sont plutôt timides en regard d’un budget de 489 milliards, soit 0,1 %.

Et timides bien qu’elles s’ajoutent aux compressions dans les ministères et les sociétés d’État annoncées dans le budget du printemps dernier (4,3 milliards annuellement, à terme, soit 0,9 % du budget).

Visiblement, le déficit zéro n’a jamais été une cible pour le gouvernement Trudeau. Le fédéral fait valoir qu’il faut plutôt s’en remettre au ratio du déficit par rapport au produit intérieur brut (PIB). L’énoncé économique prévoit une baisse progressive de ce ratio, qui passerait de 1,4 % du PIB cette année à 0,5 % du PIB dans cinq ans.

Le hic, c’est que ce ratio est constamment revu à la hausse, à chaque présentation budgétaire.

« Le déficit se détériore même bien après le ralentissement prévu. On ne sent pas une réelle volonté de retrouver l’équilibre budgétaire », me dit Luc Godbout, de l’Université de Sherbrooke.

L’économiste aimerait prêter foi à cette façon de présenter le déficit, mais encore faut-il qu’il y ait une cible qui cesse de bouger.

Une cigale, que je vous disais…