Improvisation mixte ayant pour thème : la rentrée parlementaire sous le signe de l’inflation. Nombre de joueurs : les cinq patrons des plus grandes chaînes canadiennes d’épiceries, convoqués à moins d’une semaine d’avis par le gouvernement Trudeau. Durée : indéterminée.

Il n’y a pas à dire, ça sentait la ligue d’impro à Ottawa, lundi. Sur la défensive dans les sondages, Justin Trudeau s’est lancé dans un combat d’arrière-garde : la réduction des prix à l’épicerie.

Bien entendu, la hausse du coût de la vie est difficile à avaler pour les citoyens, en particulier les plus démunis. C’est en tapant sur ce clou que le chef conservateur, Pierre Poilievre, a pris une sérieuse avance dans les intentions de vote, cet été.

Mais la curieuse opération politique des libéraux envoie le message que les prix sont coordonnés au Canada, alors qu’on souhaiterait au contraire un maximum de concurrence. Cette intervention politique a de quoi couper l’appétit d’un acteur étranger qu’on aimerait tant voir s’installer chez nous pour apporter du choix et des prix plus bas.

De toute façon, il faut être réaliste. Imposer un gel de prix, un peu comme la France vient de le faire, risque d’avoir un goût amer. On ne joue pas avec la loi de l’offre et de la demande sans causer des distorsions. Pour stabiliser leurs prix, les épiciers pourraient altérer la qualité des produits, par exemple.

Et puis, un gel de prix, ça enlève la douleur à court terme. Mais quand ça dégèle, aïe, aïe, aïe ! Souvenez-vous de la réaction des étudiants lorsque le gouvernement du Québec a décidé de hausser les droits de scolarité après 13 ans de gel : les manifestations monstres des « carrés rouges » ont eu raison du gouvernement Charest, battu aux élections suivantes.

Mais revenons en 2023.

Que faire pour ramener les prix sur terre ?

Tout d’abord, il faut laisser la Banque du Canada faire son boulot, contrairement à Pierre Poilievre, qui veut mettre son patron à la porte. La stratégie de hausse des taux d’intérêt, si douloureuse soit-elle, commence à porter ses fruits. D’un sommet de 8,1 %, l’inflation a diminué à 3,3 % en juillet, même si elle demeure plus tenace à l’épicerie.

Dans ce contexte, le mieux que le gouvernement puisse faire, c’est de ne pas jeter d’huile sur le feu et de garder les cordons de la bourse serrés, comme l’a promis la nouvelle présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, qui veut aller chercher 15 milliards d’économies d’ici le 2 octobre. On a hâte de voir les résultats…

Et au lieu d’essayer de faire baisser les prix à la consommation en tirant sur les ficelles politiques, Ottawa devrait plutôt travailler en amont en activant des leviers économiques.

À cet effet, on peut se réjouir des annonces du premier ministre, jeudi dernier, qui souhaite donner un tour de vis à la Loi sur la concurrence, une loi dépassée qui n’a subi aucune réforme majeure depuis les années 1980.

Ne vous demandez pas pourquoi le Canada est devenu le paradis des oligopoles ! Pas seulement dans l’alimentation, mais aussi dans le transport aérien, les télécommunications et les services financiers.

On est donc contents d’apprendre qu’Ottawa souhaite donner plus de mordant au Bureau de la concurrence, un chien de garde édenté qui n’a même pas le pouvoir d’exiger des renseignements aux entreprises, contrairement à la plupart de ses homologues du G7. Certains épiciers ont eu le culot de ne pas répondre aux questions du Bureau, qui vient de pondre une étude – incomplète, par la force des choses – sur les prix à l’épicerie.

Tout de même, il est ressorti de cette étude que les grands noms de l’alimentation utilisent souvent leur poids pour contrôler les baux commerciaux et empêcher des concurrents de s’installer autour.

Tant mieux qu’Ottawa veuille éliminer cette pratique anticoncurrentielle.

Tant mieux, aussi, que le fédéral s’attaque aux règles qui rendent les fusions trop faciles au Canada. Les entreprises ont le feu vert lorsqu’elles prouvent que la transaction apportera des gains d’efficacité, même si on sait que les consommateurs en sortiront perdants avec des prix plus élevés ou un choix réduit. Ça n’a aucun sens.

Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Bien d’autres aspects de la Loi sur la concurrence méritent un coup de balai. Et au-delà de la loi, il y a bien de nombreuses façons de stimuler la concurrence, par exemple en assouplissant les règles pour que des acteurs étrangers viennent s’établir chez nous.

Et un jour, il faudra aussi se poser des questions sur les vaches sacrées, comme la gestion de l’offre qui gonfle les prix payés par les consommateurs sur le lait, les œufs, le poulet…

« Le capitalisme, sans compétition, ce n’est pas du capitalisme, mais de l’exploitation », a dit le président des États-Unis, qui a entrepris une vaste réforme de la loi sur la concurrence.

Le Canada aussi est mûr pour une réflexion en profondeur sur le manque de concurrence et d’innovation qui fait en sorte que les consommateurs n’en ont pas toujours pour leur argent.

La position de La Presse

Le gel des prix à l’épicerie est un combat d’arrière-garde qui risque d’avoir un goût amer. Au lieu de travailler en aval, Ottawa doit travailler en amont en donnant un sérieux tour de vis à la Loi sur la concurrence, qui a permis au Canada de devenir le paradis des oligopoles.