Dans notre société qui roule à toute vitesse, le « je » tue souvent le « nous ».

Chacun coincé dans nos vies bien remplies, dans nos emplois de plus en plus spécialisés, nous enchaînons nos obligations quotidiennes tête baissée. Et dans nos têtes, il ne reste pas toujours beaucoup de bande passante pour les grands enjeux de société.

De l’étudiant qui cherche un logement à la mère monoparentale qui file déposer ses enfants à l’école, en passant par le malade en quête d’un médecin pour le soigner, chacun se concentre sur l’essentiel, sur le plus urgent, ce qui est parfaitement compréhensible.

Mais ce n’est pas parce que les débats se font en notre absence que nous échapperons aux conséquences de ces débats, comme l’explique si bien l’auteur du best-seller Sapiens, Yuval Noah Harari, en ouverture de son excellent ouvrage 21 leçons pour le XXIe siècle.

Nos préoccupations personnelles masquent les débats collectifs, de la même manière que l’arbre cache la forêt. Mais le jour où la forêt brûle, ce débat nous revient en plein visage, comme le matin où nous avons ouvert la porte de la maison, au beau milieu de l’été, pour constater que l’air du Québec était parmi les plus irrespirables de la planète, à cause des incendies qui ravageaient le Grand Nord.

Cet été, nous avons vécu un réveil collectif avec la multiplication des catastrophes : incendies, tornades, inondations, glissement de terrain. Le dérèglement climatique nous a rejoints individuellement, jusque sur nos perrons.

Mais chacun de notre côté, quelle influence avons-nous sur l’environnement ?

Évidemment, le simple citoyen peut jouer un rôle par ses actes : acheter, c’est voter, n’est-ce pas ? Mais rares sont les individus qui ont une véritable influence sur le cours de l’histoire, comme la jeune Greta qui est parvenue à mobiliser la planète avec sa grève scolaire.

Il y a donc des limites au poids qu’on peut mettre sur le dos des individus, qui risquent de trouver ce fardeau démoralisant, culpabilisant et antagonisant.

Démoralisant : Mon petit geste ne changera rien. À quoi bon ?

Culpabilisant : Dois-je vendre mon véhicule ? Arrêter de manger de la viande ? De voyager ? Est-ce que j’en fais assez ?

Antagonisant : Pourquoi me priver si mon voisin, lui, ne fait rien ?

Agir en solo nous mènera dans un cul-de-sac. C’est seulement en unissant nos forces qu’on fera débloquer les grands enjeux de notre époque, qu’il s’agisse des changements climatiques, démographiques ou technologiques.

C’est ici que s’inscrit mon rôle d’éditorialiste en chef de La Presse. Mon défi est de conjuguer le « je » au « nous ». De prendre un pas de recul sur les sujets qui vous touchent individuellement, chers lecteurs, pour trouver des solutions collectives qui bénéficient à l’ensemble de la société.

C’est un immense privilège et un véritable plaisir de m’exprimer au nom de La Presse, en perpétuant les valeurs de cette institution phare du Québec depuis près de 140 ans. D’ailleurs, c’est la richesse et la profondeur de notre salle de rédaction – dont je fais désormais partie intégrante – qui donne à ma plume tout son poids.

Creuser. Analyser. Vulgariser. Mettre en perspective. Voilà les outils dont je dispose pour apporter un peu de clarté à travers la mer d’information que l’actualité nous apporte chaque jour.

Respect. Équité. Humanité. Justice sociale. Voilà les balises qui me guident lorsque je prends position sur les grands enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels qui marquent l’actualité.

Mon mandat, en tant qu’éditorialiste en chef, consiste à pousser la réflexion au-delà du commentaire pour développer une position cohérente à travers le temps, ancrée dans les principes du journal.

Dans cette optique, je garde toujours une approche constructive, en cherchant à dégager des voies de passage, des solutions qui peuvent faire leur chemin. Et je peux dire mission accomplie si ces idées poussent à l’action les différents acteurs de l’arène publique, ce qui, ultimement, fait une différence dans la vie de tout un chacun.

Comme personne n’a le monopole des bonnes idées, je garde toujours une ouverture d’esprit pour toutes les pistes de réflexion, d’où qu’elles viennent. Après tout, c’est le choc des idées – positif et collaboratif – qui favorise l’innovation et fait avancer la société. Pas la partisanerie stérile qui alimente le cynisme de la population. Et encore moins le discours clivant qui décompose nos sociétés.

D’où l’importance d’ouvrir nos horizons, contrairement aux médias sociaux dont les algorithmes rétrécissent nos champs d’intérêt en nous ramenant toujours les mêmes sujets, les mêmes opinions semblables aux nôtres.

Il faut crever ces bulles qui tuent le « nous ». Il faut encourager le dialogue qui est le véritable lubrifiant de nos démocraties. C’est la participation large de tous les citoyens au débat qui donne aux politiques publiques leur pertinence et leur légitimité.

Cette richesse de points de vue féconde, je la retrouve au sein de la communauté des lecteurs de La Presse qui nous écrivent chaque jour leurs commentaires aussi pertinents que diversifiés.

À vous tous individuellement et à nous tous comme société, je souhaite une excellente rentrée !