Le Québec est une société distincte… jusque dans la mort. On le voit avec l’aide médicale à mourir qui s’est développée de façon asymétrique, le Québec faisant figure de pionnier, le Canada s’ajustant après coup avec des critères parfois divergents.

Ce manque d’harmonisation sur un enjeu aussi délicat est malheureux. Il génère de l’incertitude et du stress chez les médecins qui pratiquent l’aide médicale à mourir et, par conséquent, porte atteinte aux droits des usagers qui peuvent avoir du mal à trouver un professionnel de la santé pour administrer des soins de fin de vie.

Avec l’alzheimer, cette incertitude risque de monter d’un cran, à cause de l’ombre du Code criminel qui planera au-dessus des médecins.

Dans moins de 24 mois, les Québécois atteints d’une maladie neurocognitive pourront faire une demande anticipée, alors qu’ils ont encore toute leur tête, pour recevoir l’aide médicale à mourir au moment qu’ils auront déterminé.

Or, les demandes anticipées auront beau être permises au Québec, en vertu du projet de loi 11 adopté en juin dernier, les médecins auront très peur de s’avancer puisque cette pratique restera interdite au Canada, en vertu du Code criminel.

Toute une épée de Damoclès !

Déjà, il y a des médecins qui ne veulent plus offrir des soins de fin de vie parce qu’ils « ont peur des représailles », rapportait le Collège des médecins, à la fin d’août, dans une sortie publique en forme de flèche contre la Commission sur les soins de fin de vie qui a le mandat de surveiller l’application des exigences relatives à l’aide médicale à mourir.

Si les médecins craignent de faire l’objet d’une plainte disciplinaire – ce qui ne s’est jamais produit dans un dossier de soins de fin de vie, rassurez-vous –, imaginez à quel point ils auront la frousse face à la possibilité de se retrouver derrière les barreaux.

Voilà pourquoi il est impératif d’harmoniser le Code criminel si on veut que les demandes anticipées soient réellement accessibles aux Québécois qui sont massivement en faveur de cette avancée.

On a pu le mesurer lors d’un récent appel à tous, auquel des centaines de lecteurs de La Presse ont répondu. Un extrait :

« J’ai vu ma mère souffrir d’alzheimer et tenter de se suicider dans ses moments de lucidité. On devrait pouvoir choisir à quel stade de perte d’autonomie on veut quitter le monde », nous écrivait Anne-Marie dans un message très représentatif de l’état d’esprit de la population.

Malgré l’impatience de la population pour les demandes anticipées, Ottawa a pris une tout autre direction, en ouvrant l’aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale.

Cette avenue ne fait pourtant pas consensus. C’est d’ailleurs pourquoi Québec l’a écartée. Et le gouvernement Trudeau s’est aussi donné 12 mois de plus, au printemps dernier, pour aller de l’avant.

Québec pourrait faire cavalier seul avec les demandes anticipées, comme la province l’avait d’ailleurs fait en 2015 avec l’aide médicale à mourir, qui n’a été autorisée par Ottawa que l’année suivante, à la suite d’une décision de la Cour suprême.

Pour rassurer les médecins, le Directeur des poursuites criminelles et pénales et le Collège des médecins pourraient envoyer une directive indiquant que personne ne sera poursuivi ou sanctionné.

Mais il y a toujours un risque qu’un groupe indépendant conteste les demandes anticipées devant les tribunaux, ce qui mènerait à un débat juridique complexe.

Québec a l’autonomie pour légiférer en matière de « soins de fin de vie », puisque la santé est une compétence partagée. Mais Ottawa a des compétences exclusives en matière criminelle. Et normalement, ce sont les règles les plus contraignantes qui s’appliquent.

Mais personne n’a envie de se relancer dans un autre débat constitutionnel.

Alors, il serait beaucoup plus simple que le fédéral modifie le Code criminel pour que tout le monde soit au diapason. Mais pour l’instant, il ne semble pas y avoir tellement d’appétit pour s’attaquer à cette question clivante – compte tenu de la position frileuse des conservateurs – avant les prochaines élections fédérales.

Pendant ce temps, les médecins et les personnes atteintes d’alzheimer resteront pris dans le stress et l’incertitude. Une bien triste fin.