À une autre époque, je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, j’aurais été ensevelie sous une montagne de papier. Mais comme La Presse et ses lecteurs sont résolument ancrés dans le XXIe siècle, c’est plutôt sous les courriels que je croule.

Pas le moindre petit fax pour réagir à ma chronique sur les déboires d’un citoyen de la Rive-Sud, Philippe Georgiades, qui me racontait jeudi avoir été forcé de télécopier une requête à un médecin spécialiste au comptoir UPS de sa ville.

Lisez « À quand la fin du fax ? »

J’osais croire à un cafouillage isolé. Une pluie de témoignages plus désolants les uns que les autres m’a convaincue du contraire. Non, Philippe Georgiades n’est pas seul à courir les formulaires d’un étage à l’autre dans le vain espoir de mettre la main sur l’insaisissable laissez-passer A38…

Avec lui, dans la maison qui rend fou, il y a Eddy Addison : « Le CHUM m’a demandé d’aller recevoir une injection au CLSC de ma région. J’ai donc appelé le CLSC pour prendre rendez-vous. Impossible, m’a-t-on dit ! Fallait appeler le [Guichet d’accès à la première ligne (GAP)]. Le GAP m’a donc rappelé pour me dire que je devais dire à ma pharmacie qu’elle leur faxe la prescription afin qu’il me prenne ensuite un rendez-vous avec le CLSC de ma région. […] Comme on dit, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »

Il y a cet ancien employé d’un hôpital montréalais : « En tant que responsable de la restauration (destinée aux visiteurs et aux employés), j’avais un fax dans mon bureau. À l’hôpital, je recevais chaque semaine des fax liés à des dossiers médicaux ! (C’est tellement facile de se tromper d’un chiffre.) J’étais découragé chaque fois et puisque je n’avais pas la compétence d’en évaluer l’importance, je passais un temps fou à m’assurer que le fax se rende au bon destinataire. Très souvent, je devais contacter l’expéditeur pour identifier où il aurait dû être envoyé. Parfois, je prenais une petite marche pour m’assurer que ça se rende bien. Je me disais que si j’avais été le patient, ça m’aurait simplifié la vie… ça me l’aurait peut-être même sauvée ? »

Il y a Louis Martin : « 14 novembre 2022, j’envoie un fax de ma pharmacie avec le numéro déjà utilisé à mon spécialiste, lui demandant de réduire la dose d’un médicament. Le 1er décembre, j’appelle au département pour savoir où est rendu mon fax. Le lendemain, on me rappelle pour m’indiquer que mon fax est arrivé au 1er plancher de l’hôpital plutôt qu’au 6e et qu’il faut l’envoyer à un autre numéro. Une pause. Ainsi, mon fax a traîné pendant plus de deux semaines au 1er plancher sans que personne de cet étage achemine ou avertisse le 6e étage qu’il y avait un fax à leur attention… »

Il y a Jean-Philippe Brabant, qui se déplace en fauteuil roulant et reçoit des soins à domicile. « Je dois inscrire le nombre d’heures de service à domicile que j’ai reçues de la part des employés qui sont venus chez moi. Ce document va être utilisé pour générer leur paye. Ensuite, je dois envoyer cela au centre de traitement de la paye. Il n’existe que deux façons, soit par la poste traditionnelle, soit par fax. Vous comprendrez que d’aller à la boîte postale communautaire en fauteuil roulant en plein hiver, c’est toute une aventure, donc il ne me reste que le fax comme option. Mais bien entendu, je n’ai pas de fax à la maison, nous ne sommes plus en 1980. Les employés du CLSC m’ont recommandé d’utiliser des services de fax en ligne gratuit. Toutefois, étant moi-même programmeur, un service web gratuit est un red flag au niveau de la sécurité. Probablement que ces services lisent le contenu des fax afin de générer des revenus. Étant donné que les documents servent à générer la paye, ils contiennent beaucoup d’informations hautement sensibles comme le nom, la date de naissance, l’adresse et parfois le NAS et un spécimen de chèque des employés… »

Il y a Sylvain Robidoux : « Je suis présentement en attente d’une autorisation pour un médicament spécifique de mon assureur et devinez quoi ? La compagnie d’assurance n’a pas reçu le fax de mon médecin, qui a rempli le formulaire nécessaire depuis deux semaines. »

Au cours de tout le processus de traitement de ma maladie, j’ai dû faire face à cette situation des dizaines de fois… Au point où j’ai déjà mentionné à mon assureur que ce n’est pas le cancer qui va me tuer, mais bien le système qui entoure toute la paperasse qui nous tombe sur le dos !

Sylvain Robidoux

Il y a Michel Frison : « Un généraliste a demandé [à notre grand-mère de 98 ans] de faxer sa requête à Sacré-Cœur pour voir un spécialiste. Notre grand-mère nous a demandé c’était quoi, un fax ! Finalement, nous avons cherché dans le quartier qui avait un fax et heureusement, un gentil commerçant en avait encore un. »

Il y a Richard Péloquin : « C’est quoi, un fax ? Voilà ce que m’a demandé la jeune caissière à ma pharmacie lorsque je lui ai posé la question pour l’envoi d’une requête à mon hôpital. J’ai dû lui épeler le mot. Elle ne comprenait toujours pas… »

Il y en a plein d’autres, patients, omnipraticiens, spécialistes, perdus dans les dédales de la maison qui rend fou. Le fax n’est sans doute qu’un symptôme, comme l’écrit le DAlain Vadeboncœur dans L’actualité. N’empêche. Il est plus que temps de soigner une fois pour toutes le malade, ce réseau de la santé doté de systèmes de communication hermétiques et dignes de l’âge de pierre.

Lisez le texte du DAlain Vadeboncœur dans L’actualité