Le recours à des mesures de contrôle et de retrait sur les enfants hébergés au centre jeunesse Cartier, à Laval, a augmenté de 72 % en 2023, selon des données obtenues par La Presse. Le CISSS de Laval mise entre autres sur la construction d’un nouveau centre pour améliorer la situation et faire face à la hausse de clientèle. Sauf que le projet n’est même pas encore approuvé par Québec. Et donc, loin d’être concrétisé.

Tant les mesures d’isolement que les « retraits hors service » et les mesures de contention ont connu une hausse en 2023 au centre jeunesse de Laval. Un « retrait hors service » signifie qu’un enfant est retiré de son unité de vie le temps de s’apaiser.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Mesures de contrôle et de retrait au centre jeunesse Cartier de Laval

Mesure d’isolement

Mesure de contrôle exceptionnelle qui consiste à confiner un enfant pour un temps limité, dans un lieu d’où il ne peut sortir librement.

Retrait hors service

L’usager est mis à l’écart de son milieu de vie. Il est transféré dans un lieu aménagé pour permettre le retrait et où il est seul, sans pour autant y être enfermé.

Mesure de contention

Mesure de contrôle exceptionnelle qui consiste à empêcher ou à limiter la liberté de mouvement d’un enfant en utilisant la force humaine nécessaire ou un moyen mécanique.

Source : CISSS de Laval

Directrice adjointe du programme jeunesse au CISSS de Laval, Annie Dion estime que la hausse des mesures de contrôle et de retrait est liée à l’augmentation de la clientèle hébergée.

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Annie Dion, directrice adjointe du programme jeunesse au CISSS de Laval

Du côté des garçons, toutes nos unités de débordement sont actuellement ouvertes et pleines. La hausse s’explique aussi par la complexité des jeunes que l’on héberge.

Annie Dion, directrice adjointe du programme jeunesse au CISSS de Laval

Selon une source, la situation serait aussi attribuable aux infrastructures inadéquates et au manque d’activités pour les enfants du centre jeunesse Cartier de même qu’à l’inexpérience du personnel. La pénurie de personnel frappe de plein fouet la DPJ de Laval, confirme Mme Dion. Et les éducatrices ont en moyenne moins d’expérience que dans le passé. Mais elle assure qu’un programme de coaching est en place pour outiller et soutenir les employés.

La source, elle, déplore qu’on n’offre « rien » aux enfants pour dépenser leur énergie à leur retour de l’école ; situation qui provoque parfois leur agitation qualifiée de « comportement perturbateur ».

« Après le souper, les enfants ont une pause d’une heure obligatoire dans leur chambre qu’on appelle un temps individuel dans laquelle ils n’ont pas de télé ni de jeu vidéo. Après c’est la douche, un petit film et dodo, résume l’une des deux sources. Aucune activité physique, aucune activité extérieure. Rien. »

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Panier de basketball dans la cour du centre jeunesse Cartier

« Si tu as 9 ans et que tu es hyperactif, tu as besoin de bouger », poursuit cette source. Cette dernière déplore qu’on n’organise pas d’activités sportives en soirée pour ces enfants vulnérables alors que les ados hébergés sur le même site pour des délits (les jeunes contrevenants), eux, ont droit de sortir dans la cour. « Quand le contrevenant ne se sent pas bien, lui, on va l’amener au basket ou faire une marche pour qu’il se défoule », indique-t-elle.

Cure de jeunesse de 465 millions

En entrevue avec La Presse, le CISSS de Laval conteste ces allégations. Chaque unité de vie au centre jeunesse Cartier, où vit une centaine de jeunes vulnérables, a une programmation variée, assure-t-on. Les jeunes ont accès à des gymnases et à différentes activités comme des cours de cuisine, d’art ou de karaté, dit-on. Une salle de jeux – un petit local sans fenêtre avec quelques meubles qui ont connu de meilleurs jours – est aussi destinée aux plus petits. Certes, il y a pénurie de personnel, mais cela ne fragilise pas la programmation, assure Annie Dion.

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La salle de jeux du centre jeunesse Cartier

Sur les motifs qui poussent les intervenants à retirer l’enfant de son unité, « difficile de déterminer une liste précise de comportements qui amènent les retraits hors service », affirme Marie-Claude Méthot, criminologue de formation, qui fait du soutien clinique dans les unités de réadaptation Cartier et Notre-Dame-de-Laval.

Un jeune qui ne va pas bien, ça peut faire un effet popcorn [dans l’unité]. L’équipe éducative doit tenir compte de tout ça dans l’intervention auprès du jeune. Chaque unité a son profil de jeune parce qu’il y a différents types d’encadrement aussi, différents types de clientèle, différentes complexités de jeunes, différents âges.

Marie-Claude Méthot, criminologue

Le projet de modernisation des installations du Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation de Laval (y compris Cartier), déposé en 2021, prévoit des unités de réadaptation « à échelle humaine » avec des groupes plus petits, explique Mme Dion.

Dans ce plan, que La Presse a pu consulter, les deux bâtiments actuels « à la limite de type carcéral » sont carrément démolis, entre autres car les chambres sont « non adaptées aux besoins des jeunes (vétustes, mal aménagées et sans fenêtres) », écrit-on. Le coût du projet – qui inclut aussi la construction de neuf nouveaux foyers de groupe ainsi que d’une nouvelle ressource de « passage à la vie adulte » – est évalué à un peu plus de 465 millions de dollars.

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L’une des installations « à la limite de type carcéral » du centre jeunesse de Laval qui doit être démoli

« Si on avait des locaux de grandeur suffisante, avec des locaux d’apaisement en nombre suffisant, avec des endroits dans nos unités où les jeunes peuvent volontairement prendre une distance du reste du groupe. Si on avait cette capacité-là, peut-être qu’on aurait un impact sur nos mesures de contrôle », affirme Annie Dion.

Des mesures, des risques

Dans son rapport déposé en mai 2021, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (communément appelée commission Laurent) se disait déjà « préoccupée par la hausse de l’utilisation des mesures de contrôle » en centre jeunesse. La proportion des jeunes placés faisant l’objet d’un isolement était passée de 7,7 % en 2014-2015 au Québec à 9,6 % en 2018-2019.

Des experts avaient affirmé à la Commission que le recours aux mesures de contrôle peut être utile entre autres pour éviter que les enfants ne se mettent en danger.

Mais ces méthodes « ne sont pas sans risque », a noté la Commission, évoquant notamment « la détérioration de la relation entre le jeune et l’adulte, l’augmentation des comportements antisociaux et la reproduction de déclencheurs potentiellement traumatiques pour les enfants ».

Le recours aux mesures de contrôle doit être exceptionnel, rappelle la professeure à l’École de travail social de McGill Delphine Collin-Vézina, qui est « surprise » par cette hausse importante à Laval. L’experte, également chercheuse, vient de publier une étude avec une consoeur de l’Université Laval, Alexandra Matte-Landry, démontrant qu’une majorité (52 %) d’enfants hébergés vit très peu de ces mesures, un quart en vivra de façon modérée et un dernier quart en vivra souvent. Ce dernier groupe est composé d’enfants plus jeunes. Or, la « bonne nouvelle » est que l’implantation des formations et des accompagnements cliniques permet de diminuer significativement le recours à ces mesures sur une durée d’un an, selon son étude publiée en février dernier.

Dans le rapport de la commission Laurent, les commissaires ont noté le « caractère inadéquat et désuet des lieux physiques » des centres de réadaptation jeunesse et le manque « alarmant » de places. Ils ont plaidé pour une « révision de l’offre de service en centre de réadaptation » et demandé une vigie des mesures de contrôle, notamment afin de s’assurer que celles-ci ne soient « pas utilisées comme mesures disciplinaires ».

« Tout est dans le rapport, insiste la professeure à l’École de travail social de l’Université McGill Delphine Collin-Vézina, qui dirige également le Consortium canadien sur le trauma chez les enfants et adolescents. Il est temps de l’appliquer. »