On ne peut pas dire que les libéraux manquent de persévérance. Ils continuent de se battre pour jeter le plus mince filet de lumière possible sur les tentatives d’ingérence de Pékin.

Leur plus récente tentative s’est passée en comité parlementaire. Mardi, leurs députés ont essayé de limiter la durée des travaux sur la faille de sécurité majeure au Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg. Heureusement, ça n’a pas fonctionné. Les oppositions, majoritaires, ont réussi à faire avancer le travail.

Peut-être avez-vous oublié cette histoire ahurissante.

Ce laboratoire est le seul au pays de niveau 4, la catégorie sécuritaire la plus élevée. On y manipule les agents pathogènes les plus dangereux au monde.

Deux chercheurs d’origine chinoise, Xiangguo Qiu et son mari Keding Cheng, y travaillaient. À partir de 2016, ils ont fait plusieurs voyages en Chine sans en parler à leurs supérieurs. Ils ont collaboré avec des chercheurs liés à l’armée et participé à un programme de recrutement au service du Parti communiste. Ils se sont aussi rendus à l’Institut de virologie de Wuhan.

Ils ont également invité des chercheurs chinois au laboratoire de Winnipeg, sans prévenir leurs supérieurs. Ces collègues ont pu circuler librement sur les lieux.

Rien de cela n’avait été détecté. Puis, en septembre 2018, on a réalisé qu’un brevet avait été enregistré à leur nom en Chine pour un inhibiteur de l’Ebola1.

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO DIFFUSÉE PAR RIDEAU HALL

Xiangguo Qiu et son mari Keding Cheng

Malgré tout, ils sont restés employés du laboratoire de Winnipeg. En mars 2019, ils ont réussi à envoyer en Chine des échantillons des virus Ebola et Nipah. Il a fallu attendre jusqu’à juillet 2019 avant qu’ils soient expulsés du laboratoire. Depuis, ils travaillent en Chine sous de nouveaux noms.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n’était pas initialement méfiant. En 2020, il jugeait ces scientifiques susceptibles d’être influencés par des agents chinois, sans croire qu’eux-mêmes pourraient activement collaborer avec le régime.

Leur avis a changé. La Dre Qiu a développé des relations « profondes avec plusieurs institutions [chinoises] » et a « intentionnellement transféré du matériel et des connaissances scientifiques », soutient le SCRS. L’agence parle d’une « menace réelle et crédible » pour la sécurité économique du pays.

Quand les preuves sont apparues, le gouvernement Trudeau ne voulait pas les voir. Ou, du moins, il les cachait.

M. Trudeau a invoqué des enjeux de protection de la vie privée. Il a ensuite parlé de craintes pour la sécurité nationale. Et, en effet, tout ne peut pas être révélé. Mais cela ne justifie pas l’ampleur des cachotteries.

Et le premier ministre est allé encore plus loin. Il a accusé ses adversaires d’intolérance. « J’espère que mes collègues du Parti conservateur n’alimentent pas la peur au sujet des Canadiens asiatiques », a-t-il lancé.

M. Trudeau a déploré qu’on remette en question « la loyauté » de citoyens à cause de leur origine ethnique. Il se vantait de défendre la « diversité » en recherche.

Pendant ce temps, la Chine récupérait elle aussi le discours diversitaire en prétendant que si le Canada dénonçait la détention des deux Michael, c’était à cause de son « suprémacisme blanc »…

Dans les deux cas, ces récupérations sont odieuses.

Le Canada a une triste histoire de racisme anti-chinois, comme le prouve la Loi sur l’immigration chinoise adoptée en 1923, qui fermait la porte à ces arrivants et à leur famille et les soumettait à de constants contrôles policiers2.

Et il est vrai que durant la pandémie, une vague d’intolérance envers les personnes d’origine chinoise a déferlé.

Mais à Ottawa, des citoyens tibétains, ouïghours et hongkongais ont prévenu les parlementaires de ne pas récupérer la lutte contre le racisme pour taire les critiques légitimes envers le régime de Pékin.

Les ressortissants chinois victimes des postes policiers clandestins répétaient la même chose.

Nos alliés, à commencer par les États-Unis, n’ont pas dû être impressionnés par ce mélange de récupération et de laxisme.

Petit à petit, la lumière se fait.

Acculé au mur, le gouvernement Trudeau a fini par déclencher une commission d’enquête sur les ingérences étrangères – le rapport intermédiaire de la juge Marie-Josée Hogue sera présenté en mai.

Les libéraux travaillent à la création d’un registre des agents étrangers – ils en parlent depuis des années, sans résultat, mais ça pourrait débloquer, peut-être, un jour.

Forcés par les conservateurs, bloquistes et néo-démocrates, ils ont aussi créé un comité de parlementaires et de juges pour choisir quelles informations pouvaient être rendues publiques au sujet du laboratoire de Winnipeg. Plus de 600 pages ont ainsi été dévoilées à la fin de février.

Le libéral Yasir Naqvi dit craindre que l’opposition détourne l’exercice pour « marquer des points politiques ». Ce n’est pas impossible. Mais depuis le début, les libéraux font plus que leur part en la matière.

Malgré eux, on finit par en apprendre un peu plus. Mais ça ne devrait pas être si lent, et si pénible.

1. Lisez « Enquête sur un couple de chercheurs : espionnage et Ebola au labo »

2. Une exposition récente au musée McCord évoquait ce triste épisode de notre histoire.

Lisez « Un café avec… Karen Tam : entre les voisins, des montagnes »