Après s’être fait tirer l’oreille pendant des années, le gouvernement Trudeau a rendu publics cette semaine des documents sur le congédiement d’un couple de scientifiques du Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg en 2021. Les chercheurs, qui travaillaient avec les pathogènes les plus dangereux de la planète, entretenaient des liens avec l’armée chinoise. La femme a même livré des secrets à la Chine. Voici cinq faits saillants de l’enquête des services de renseignement canadiens à leur sujet.

Des recherches de pointe

Xiangguo Qiu et son mari Keding Cheng travaillaient au seul laboratoire de virologie de niveau 4 du Canada, un établissement fédéral reconnu mondialement pour son expertise. Les chercheurs y manipulent des virus extrêmement dangereux sous contrôle strict. Dans le cadre de ses fonctions, Mme Qiu a notamment participé au développement d’un traitement révolutionnaire contre le virus Ebola, qui lui a valu un Prix du Gouverneur général en 2018.

Originaires de Chine, Mme Qiu et M. Cheng détenaient la citoyenneté canadienne et se montraient enthousiastes quant aux collaborations scientifiques internationales. « Les scientifiques ne pensent qu’à une chose : travailler fort pour être plus productifs et aider à sauver des vies. Nous nous entraidons pour faire progresser la science », a déclaré Mme Qiu dans un entretien reproduit dans les documents d’enquête.

Règles bafouées

Les deux chercheurs ont été escortés hors du laboratoire en 2019 puis congédiés en 2021. Des enquêtes de l’Agence de la santé publique et du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont révélé plusieurs manquements aux règles de leur part.

M. Cheng avait laissé un étudiant chinois circuler sans surveillance dans le laboratoire et en avait laissé un autre accéder au réseau informatique en utilisant son identifiant. Il avait permis l’utilisation d’un compte Gmail et d’une clé USB pour faire sortir des données expérimentales du laboratoire. Il avait aussi reçu des protéines de souris envoyées de Chine dans un colis faussement étiqueté comme contenant des ustensiles.

Le nom de Mme Qiu était quant à lui apparu en Chine sur un brevet, dans un champ de recherche qui recoupait ses travaux au Canada. Elle aussi avait laissé deux chercheurs chinois liés à des institutions gouvernementales chinoises accéder au laboratoire de Winnipeg.

Liens cachés

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le laboratoire national de microbiologie du Canada, à Winnipeg

L’enquête du SCRS a ensuite permis de mettre au jour des recherches conjointes menées par le couple et des chercheurs liés à l’Académie militaire des sciences médicales de Chine. Selon les services de renseignement canadiens, cette institution relève de l’Armée populaire de libération et « dispose de moyens offensifs de production d’armes chimiques et biologiques ».

Mme Qiu aurait aussi avoué avoir collaboré à un projet de recherche avec la majore-générale Chen Wei, la plus éminente virologue de l’armée chinoise, récemment décorée par Xi Jinping pour sa contribution à la lutte contre la COVID-19. Une militaire chinoise admise pour un séjour au laboratoire manitobain à titre d’étudiante, grâce à une bourse accordée par l’ambassade de Chine, aurait aussi décrit la majore-générale Chen Wei comme sa mentore.

Mme Qiu entretenait par ailleurs des liens avec plusieurs programmes chinois de recrutement de chercheurs étrangers, très lucratifs, qui « incitent à l’espionnage économique et au vol de propriété intellectuelle ».

Certains d’entre eux permettent aux chercheurs d’obtenir des millions de dollars en Chine tout en conservant leur emploi principal à l’étranger, selon les autorités canadiennes. Le couple détenait d’ailleurs un compte bancaire en Chine.

Travaux dangereux

PHOTO NICOLAS ASFOURI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La majore-générale Chen Wei (à gauche), la plus éminente virologue de l’armée chinoise, en compagnie du président chinois, Xi Jinping, en 2020

Un document de l’académie militaire chinoise retrouvé par les agents secrets canadiens expliquait ouvertement que Mme Qiu utilisait le laboratoire de Winnipeg comme « base opérationnelle » afin d’aider la Chine à combattre certains agents « hautement pathogènes ». Le document soulignait que Mme Qiu avait « fourni à la Chine les séquences génétiques du virus Ebola, ce qui a été très utile pour la Chine ».

Des courriels de discussions internes avec des collègues de la chercheuse au Canada montrent que certains s’inquiétaient du transfert d’un échantillon d’Ebola vers la Chine, vu la dangerosité du virus.

Xiangguo Qiu collaborait aussi avec l’Institut de virologie de Wuhan. Des échanges de messages découverts par le SCRS montrent qu’elle discutait de la possibilité de développer des vaccins à l’aide d’une approche controversée impliquant la création de souches virales synthétiques avec « gain de fonction », dont l’objectif était d’améliorer la capacité de contagion d’un pathogène afin de mieux étudier la nature de ses interactions avec un hôte.

Verdict sans appel

PHOTO THOMAS PETER, ARCHIVES REUTERS

L’institut de virologie du Wuhan, en 2021

Le verdict des services de renseignement canadiens a été sans appel. Le SCRS a conclu que les deux chercheurs avaient menti effrontément tout au long de l’enquête. Mme Qiu avait omis de respecter les protocoles liés au transfert de pathogènes et « collaboré avec des institutions dont les objectifs pourraient comprendre des applications militaires mortelles qui, clairement, ne vont pas dans le sens des intérêts du Canada et de sa population ».

« Le SCRS estime qu’elle a divulgué des informations sensibles », précise un rapport daté de 2020. Quant à M. Cheng, le SCRS remettait en cause sa loyauté et sa fiabilité et estimait qu’il « pourrait divulguer des informations sensibles ». Les deux chercheurs ont donc été congédiés. Une enquête policière est aujourd’hui en cours, mais le couple semble avoir disparu du pays.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO DIFFUSÉE PAR RIDEAU HALL

La chercheuse Xiangguo Qiu, au travail

Il a fallu des années pour que le gouvernement divulgue les détails de l’enquête. Les partis de l’opposition les ont réclamés à plusieurs reprises. Ottawa s’est même adressé aux tribunaux pour empêcher leur divulgation, mais la procédure est tombée à l’eau lorsque les dernières élections ont été déclenchées. Des négociations ont finalement mené à la création d’un comité spécial formé de députés des quatre partis représentés à la Chambre des communes, afin d’examiner le matériel et de déterminer ce qui pouvait être rendu public.