Avec sa voix onctueuse, sa langue riche, son goût immodéré pour les mots rares et les formules, avec sa mémoire en forme de dictionnaire de citations, Yves Michaud donnait l’impression de revenir d’un séjour prolongé dans le Grand Siècle.

C’est le militant des droits des petits investisseurs que j’ai connu, du temps où j’étais chroniqueur judiciaire au palais de justice de Montréal. On ne peut pas exagérer l’exploit qu’il a accompli en affrontant, seul, sans avocat, toutes les grandes banques canadiennes, il y a presque 30 ans.

Ce qu’il réclamait était assez élémentaire : plus de transparence, un minimum de démocratie dans les assemblées d’actionnaires, où les dirigeants pipent les dés et musellent toute dissension.

Pendant des jours, les avocats des grandes banques l’ont cuisiné, laissant soupçonner des motifs occultes dans le combat de cet homme qui ne détenait qu’une poignée d’actions.

Comme si ce patriote, fervent souverainiste, voulait mettre à terre le système bancaire, voire le capitalisme canadien.

La Cour supérieure a donné raison à celui que j’ai baptisé alors « Robin des banques » : ces institutions allaient être obligées d’envoyer aux actionnaires ses propositions, pour qu’elles puissent faire l’objet d’un véritable débat.

On dira que les choses n’ont pas tant changé depuis. Mais ses propos d’il y a 27 ans résonnent encore aujourd’hui : « Il est temps que les dirigeants de banque et les autres descendent de leur tour d’ivoire et acceptent un peu de démocratie dans la direction. »

Il dénonçait en particulier les salaires stratosphériques des dirigeants, de plus en plus déconnectés du salaire des « simples employés ». Ils n’ont cessé d’augmenter.

Il est tout de même resté de ce combat l’idée que les « petits » ne sont pas condamnés au mutisme. Son œuvre de pédagogie financière populaire vit encore, sous le nom du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).

Sans fonction politique officielle pour la plus longue partie de sa, ou de ses carrières, Yves Michaud trouvait le moyen de se faire entendre dès qu’il était question de souveraineté ou de défense de la langue – sujet qui l’a fait démissionner du Parti libéral du Québec en 1969. Il était médiatiquement incontournable.

Quand on a appris que le stratège référendaire péquiste dans le cabinet de René Lévesque, Claude Morin, avait reçu de l’argent pour parler secrètement à des agents de la police fédérale, il avait ressorti sa formule, typique de sa tournure d’esprit : « Au Québec, on n’a pas de secret d’État, parce qu’on n’a pas de secrets et on n’a pas d’État ! »

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Yves Michaud et René Lévesque

Il avait été un des seuls à donner le bénéfice du doute à Morin (qui s’explique en passant dans le très bon documentaire récent Un jeu dangereux, sur Vrai). Cela pesait d’autant plus qu’il était un intime de René Lévesque, à qui il avait prêté sa maison le soir de l’élaboration de la stratégie du « beau risque » du fédéralisme. Il a d’ailleurs raconté, note manuscrite de Lévesque à l’appui, comment le premier ministre et ses conseillers ont pillé sa cave à vin – car en plus d’avoir dirigé comme journaliste le Clairon de Saint-Hyacinthe et le bref mais fulgurant Jour, d’avoir été député libéral à Québec, puis diplomate québécois à Paris et dirigeant du Palais des congrès de Montréal, il a aussi été joyeusement importateur de vin.

Mais son goût pour la formule et les « bons mots » (« je préfère être un pur et dur qu’un impur et mou ») est aussi ce qui l’a amené à tenir des propos douteux sur le vote massif de la communauté juive ou des anglophones contre le projet souverainiste. Une motion pour dénoncer ses propos (non spécifiés) a été adoptée dans une atmosphère surchauffée à l’Assemblée nationale, sans qu’il puisse se défendre, ce qui a été une grande blessure pour lui. Quelques tentatives ont été faites pour « annuler » la motion, sans succès. Plusieurs politiciens ont renié leur vote et présenté leurs excuses par la suite, et je crois que si c’était à refaire, Lucien Bouchard ne ferait pas les choses de la même manière.

Offensé, il a tenté de faire annuler la motion par les tribunaux, qui ont rejeté sa requête, donnant préséance au droit des parlementaires.

Au moins, le juge Jean-Louis Baudouin reconnaissait l’injustice qui lui avait été faite : « Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce, sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria, auraient dit les juristes romains ! »

Robin des banques avait perdu, mais cet esprit classique pouvait se consoler un peu avec cette citation de Cicéron, ce qui n’était pas pour lui déplaire.