Québec a choisi de dépenser 870 millions pour doter le Stade olympique d’un nouveau toit rigide. Or, en 2012, le Parc olympique a évalué qu’un Stade hivernisé sans toit serait 10 fois moins coûteux qu’un nouveau toit rigide, selon un document interne du Parc qui n’a jamais été rendu public. Québec ne veut pas dire s’il a considéré cette option. Plus on fouille, plus on se pose des questions sur ses calculs.

Faut-il dépenser 870 millions pour un nouveau toit rigide sur le Stade olympique, comme le gouvernement Legault vient de s’y engager ?

C’est beaucoup de fonds publics. Surtout que le gouvernement du Québec a écarté une solution beaucoup moins chère : un Stade sans toit, où l’enceinte intérieure (le « bol ») serait hivernisée (on ne pourrait pas y tenir d’activités).

Un Stade sans toit coûterait environ 10 fois moins cher, selon les évaluations du Parc olympique apparaissant dans un dossier d’affaires de 2012 jamais rendu public, que La Presse a consulté. Ce document d’une centaine de pages préparé pour le gouvernement du Québec évalue plusieurs options pour l’avenir du Stade.

Le gouvernement Legault a-t-il sérieusement évalué l’option d’un Stade sans toit ? La ministre du Tourisme, Caroline Proulx, n’a pas voulu répondre à notre question.

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La ministre du Tourisme, Caroline Proulx

En 2012, le Parc olympique évaluait le coût brut d’un nouveau toit rigide à 261 millions en dollars de 2013, et le coût d’un Stade sans toit à 26,2 millions de dollars (mesures d’hivernisation et autres frais pour la première année). On estimait aussi que les coûts d’entretien annuels d’un Stade sans toit (1,5 million par an) seraient moins élevés que ceux d’un toit rigide (2,2 millions par an). Le coût net d’un Stade sans toit était aussi moins élevé (voir capsule à la fin de ce texte).

Ce document jette un nouvel éclairage sur la décision du gouvernement Legault de signer un contrat avec le consortium Pomerleau-Groupe Canam pour ce projet de 870 millions1.

Pourquoi une telle hausse de 261 à 870 millions en à peine 10 ans ? À cause de l’inflation, mais aussi d’un imprévu coûteux : si on veut un nouveau toit, il faut dépenser plusieurs centaines de millions de dollars pour remplacer l’anneau technique, qui le soutient.

Les 870 millions n’incluent pas les dépenses pour refaire tout l’intérieur du stade (son, sièges, loges, etc.). En incluant ces dépenses qui seront inévitables si on veut accueillir des spectacles, le coût réel devrait plutôt approcher 1,07 milliard de dollars, selon mes estimations (voir autre texte).

Nulle part ailleurs dans le monde un gouvernement n’a dépensé autant de fonds publics dans un stade aussi peu fréquenté depuis le départ des Expos en 2004.

Tout le monde convient que Québec doit entretenir ses actifs comme le Stade olympique. Dépenser 870 millions pour un nouveau toit quand on n’a pas le choix est une chose. Dépenser cette somme alors que le Parc olympique a déjà évalué qu’une autre option était 10 fois moins chère au brut, c’en est une autre.

Avec son nouveau toit, le Stade accueillera essentiellement des congrès et des foires. Aucune équipe de sport à Montréal n’aura besoin d’un stade de 50 000 sièges. Et à moins d’avoir complètement perdu sa boussole fiscale, un gouvernement ne dépense pas 1 milliard de fonds publics pour accueillir de deux à quatre grands concerts musicaux (ex. : Taylor Swift, Coldplay) par année, comme le prévoit la ministre du Tourisme, Caroline Proulx.

J’ai tenté de comprendre les raisons qui poussaient le gouvernement Legault à faire cette dépense aussi extravagante à première vue.

Plus on fouille ce dossier, plus on est préoccupé.

Qu’est-ce qu’un Stade hivernisé ?

Un Stade olympique hivernisé sans toit signifierait le démantèlement du toit et l’aménagement hivernal de l’enceinte intérieure (le « bol ») pour la protéger contre les intempéries. Durant l’hivernisation, on ne pourrait pas tenir d’activités dans le bol. Généralement, il y a deux types d’hivernisation : uniquement durant l’hiver (on pourrait tenir des activités dans le bol de mai à octobre ; c’était l’option étudiée par le Parc en 2012) ou durant toute l’année.

Pourquoi un Stade ouvert toute l’année ?

Depuis 12 ans, le gouvernement du Québec et la direction du Parc olympique veulent absolument rendre le bol du Stade opérationnel toute l’année. Ils veulent aussi respecter la vision de l’architecte Roger Taillibert : un stade fermé avec un toit. « Ce n’est pas un stade qui a été fait pour être ouvert », disait le PDG du Parc olympique, Michel Labrecque, en février.

En 2012, Québec et le Parc olympique ont fait de la tenue d’évènements dans le bol du Stade toute l’année l’une des six conditions pour évaluer une solution au Stade. « Un Stade sans toit ne permettrait pas l’utilisation de l’enceinte du Stade durant les mois d’hiver. […] Cette option ne permet donc pas d’atteindre ce résultat recherché », écrit-on dans le dossier d’affaires. C’est l’une des raisons pourquoi le Parc n’a pas recommandé cette option en 2012.

En février 2024, quand a été expliquée la décision de construire un nouveau toit rigide, « permettre la tenue d’évènements dans le Stade tout au long de l’année » était toujours l’une des six exigences, peut-on lire dans un document public du Parc.

IMAGE FOURNIE PAR LE PARC OLYMPIQUE

Une vue du futur toit lors d’un concert

Rendre le Stade opérationnel toute l’année nécessite absolument un nouveau toit.

« Si rien n’est fait, d’ici un an ou deux au mieux, il faudra démanteler la toiture, hiverniser le Stade et mener à une fermeture définitive et complète du Stade olympique. Impensable quand on réalise que ce monument est l’une des pierres angulaires du développement économique et touristique pour le Québec, pour l’est de Montréal », a dit la ministre Proulx en conférence de presse le 5 février dernier.

C’est vraiment « impensable », un Stade sans toit ? À n’importe quel coût ? Bien sûr que non. Un milliard de dollars, c’est trop cher quand on a une autre option possiblement 10 fois moins coûteuse.

L’hivernisation, ce n’est pas la fin du Stade. On fermerait seulement le bol. La Tour resterait opérationnelle à 100 %, ses locaux continueraient d’être loués (par exemple, par Desjardins), les touristes et les Montréalais pourront continuer à profiter de la vue au sommet. On a d’ailleurs investi 375 millions de fonds publics depuis une dizaine d’années dans la Tour. À l’extérieur, l’Esplanade du Parc serait aussi ouverte du printemps à l’automne.

Pendant le début des travaux pour un nouveau toit, le Parc olympique hivernisera le bol pendant deux ans, en 2024 et en 2025. Toutes les autres activités de la Tour du Stade et du Centre sportif continueront durant cette période.

Le Stade a aussi été hivernisé de 1976 à 1987, avant qu’on y ajoute un toit.

La « possibilité de dégradation accélérée du Stade » est mentionnée comme un risque d’un Stade sans toit dans le dossier d’affaires de 2012. Par ailleurs, toutes les options comportaient des risques. On nommait deux risques pour un nouveau toit rigide, une « faible probabilité de dommages causés à la structure du Stade par le poids du toit mais avec de graves conséquences » et la « nécessité d’intervention majeure aux structures du Stade ».

Entretenir le Stade

Il y a trois façons de maintenir le Stade en état pour éviter qu’il nous cause d’autres problèmes plus graves : installer un nouveau toit, l’hiverniser ou le démolir.

Sur le plan social, historique et architectural, le détruire serait très controversé. Il y aurait un cratère immense dans l’est de Montréal, qu’il faudrait recouvrir. On ne connaît pas l’impact d’une démolition sur la Tour. De toute façon, c’est l’option la plus chère : presque 2 milliards de dollars, estime le Parc olympique.

Pourquoi est-ce si cher, alors que des dizaines de stades américains ont été démolis pour moins de 50 millions ? Le Stade olympique est le seul stade au monde construit en béton précontraint, ce qui le rend impossible à démolir à la dynamite. Il faut plutôt le démolir pièce par pièce, ce qui rend la démolition très coûteuse.

Bref, la démolition, c’est de loin le pire des trois scénarios.

Reste l’hivernisation et un nouveau toit rigide.

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Image de synthèse du futur toit, vu de l’intérieur du Stade

Le gouvernement Legault a-t-il vraiment évalué l’option d’un Stade hivernisé sans toit ?

J’ai posé ces questions spécifiques au cabinet de la ministre Caroline Proulx et au Parc olympique, qui ne m’ont pas répondu. La ministre Proulx et le PDG du Parc olympique, Michel Labrecque, ne m’ont pas accordé d’entrevue, suggérant d’abord de faire des demandes d’accès à l’information.

Ce silence est très inquiétant.

Les chiffres du document de 2012 ne sont évidemment plus à jour. Pour le toit rigide, le coût est passé de 261 millions à 870 millions (+ 233 %). Le coût d’un Stade sans toit a également augmenté, mais demeure assurément une option beaucoup moins coûteuse.

Le gouvernement du Québec a besoin d’avoir une excellente raison et une très bonne analyse, chiffres à l’appui, pour avoir écarté le scénario du Stade hivernisé sans toit. Pas seulement de dire qu’on aimerait des activités 365 jours par année dans le bol et qu’on veut respecter la vision de M. Taillibert.

Sinon, on devra conclure que Québec a fonctionné avec une vision en tunnel en voulant garder le Stade ouvert toute l’année, coûte que coûte.

Ce n’est pas parce que le Stade olympique est un fiasco financier depuis les années 1970 qu’on est obligé d’y pomper un autre milliard de fonds publics comme une fatalité collective.

Je n’ai rien contre le Stade. Au contraire, j’en garde de beaux souvenirs d’enfance lors de matchs des Expos en famille.

Mais avec les informations dont nous disposons actuellement, un nouveau toit à plus de 1 milliard de dollars n’en vaut pas la peine s’il existe une autre solution 10 fois moins chère.

1. Le contrat de gré à gré de 729 millions avec le consortium Pomerleau-Groupe Canam a été signé début mars. Avec les autres coûts internes au Parc olympique, le coût officiel du projet est de 870 millions.

Un coût net plus avantageux pour l’hivernisation

Dans son rapport de 2012, en plus du coût brut, le Parc olympique a aussi évalué le coût net sur 30 ans d’un Stade sans toit et d’un nouveau toit rigide, en considérant les revenus gagnés par un nouveau toit ou perdus par l’hivernisation. Sa conclusion : en coût net sur 30 ans, un toit rigide coûterait au final beaucoup plus cher (360 millions) qu’un Stade hivernisé sans toit (233 millions) et qu’une nouvelle toile (221 millions). La différence entre le coût brut et le coût net d’un Stade sans toit : pour le coût net, on a ajouté les revenus perdus pendant 30 ans parce qu’il n’y aurait pas de toit. Ces chiffres ne sont plus à jour. Il y a l’inflation, mais ce n’est pas le changement le plus important : le coût d’un toit rigide a monté en flèche.

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Pour le Stade olympique, la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, a déclaré qu’un nouveau toit ferait passer les recettes fiscales générées de 2,1 millions à 20 millions par an.

Au moins 60 ans pour payer le nouveau toit

Combien d’années faudra-t-il en recettes fiscales générées par le nouveau toit pour payer à la fois ce toit et les rénovations à l’intérieur du « bol » du Stade olympique ? Dans le meilleur de scénarios – un scénario beaucoup trop optimiste –, au moins 60 ans, selon mes calculs.

Le gouvernement Legault estime que cet investissement de 870 millions « augmentera la fréquentation du site et engendrera des retombées économiques importantes », a indiqué la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, dans un communiqué de presse le 5 février.

On estime habituellement la rentabilité d’un investissement à partir des recettes fiscales générées par cet investissement, pas des retombées dans l’économie en général. Par exemple, Québec estime qu’il rentabilisera sa subvention à Northvolt dans neuf ans avec les recettes fiscales générées par l’usine de batteries.

Pour le Stade olympique, la ministre Proulx a déclaré qu’un nouveau toit ferait passer les recettes fiscales générées de 2,1 millions à 20 millions par an. L’ajout d’un toit générerait donc 17,9 millions supplémentaires, si on croit Québec sur parole1.

Le toit et l’anneau technique coûteront 870 millions. Le gouvernement du Québec et le Parc olympique ne veulent pas donner d’estimation sur le coût des aménagements à l’intérieur du bol (sièges, loges, son/acoustique).

En conférence de presse début février, la ministre Caroline Proulx et le PDG du Parc olympique, Michel Labrecque, disaient ne pas savoir combien de tels travaux dans le bol coûteraient. C’est un aveu très étonnant.

À Toronto, Rogers vient de rénover l’intérieur du Rogers Center (l’équivalent du Stade olympique) pour ses Blue Jays, au coût de 300 millions. J’ai été conservateur et calculé qu’il en coûterait 200 millions, ce qui ferait monter la facture actuelle de 870 millions à 1,07 milliard.

À 17,9 millions de nouvelles recettes fiscales par an, il faudrait 60 ans au Stade pour générer 1,07 milliard (le coût total du projet) en recettes fiscales pour le gouvernement du Québec.

Sauf que la durée de vie du nouveau toit est de 50 ans. L’investissement est donc déficitaire.

Et attention, ce scénario est beaucoup trop optimiste, car il présume qu’il n’y aurait pas de problèmes avec le nouveau toit durant 60 ans, que les recettes fiscales seront aussi importantes que ce qui est prévu, ne tient pas compte des frais annuels d’entretien du toit et de l’anneau technique ni des autres rénovations qui devront être effectuées durant 50 ans si on continue à opérer le bol. Sur 50 ans, il faudra aussi refaire l’intérieur du bol pour améliorer l’expérience client au moins une autre fois (possiblement une autre tranche de 200 millions après 25 ans).

1. Le chiffre de 20 millions en recettes fiscales par an dévoilé par la ministre Proulx provient d’une étude de retombées économiques. J’ai demandé au cabinet de la ministre Proulx une copie de l’étude, mais je ne l’ai pas obtenue.

Au deuxième rang des stades les plus chers au monde

De tous les stades modernes (depuis les années 1950), le Stade olympique est au deuxième rang des plus coûteux à construire. Au total, il a coûté 1,7 milliard en dollars de 1976 à 2006, ce qui équivaut à 6,3 milliards CAN en dollars de 2023 (4,7 milliards US), selon le Parc olympique. Un seul autre stade a coûté plus cher : le nouveau SoFi Stadium, à Los Angeles (6,2 milliards US en dollars de 2022). Il accueille deux équipes de la NFL (les Rams et les Chargers) et a été le stade de concerts le plus lucratif au monde en 2023 selon Pollstar (1 million de billets vendus, revenus de concerts de 175 millions US). Au troisième rang, le nouveau stade des Raiders (NFL) à Las Vegas a coûté 2,2 milliards US. À l’exception du Stade olympique de Montréal, les 11 stades les plus dispendieux du monde accueillent tous des équipes d’un sport professionnel majeur (NFL, baseball majeur, soccer de la Premier League en Angleterre) ou des équipes nationales de soccer (l’Angleterre à Wembley, Singapour au Stade national de Singapour).

Note : sauf indication contraire, les coûts des stades sont en dollars de 2022 ou 2023.