En ce dimanche de mars, allez-vous à la cabane à sucre ? Dévorer des saucisses dans le sirop d’érable, des fèves dans le sirop d’érable, des crêpes au sirop d’érable, des œufs cuits dans le sirop d’érable et de la tire d’érable sur la neige ou sur la bouette ? Un dessert avec ça ?

Miam ! Miam ! Au retour, ça va ronfler. À part les enfants, qui vont avoir le déficit d’attention aussi monstrueux que le déficit budgétaire du Québec. Une seule activité au programme de la soirée : digérer.

Y a pas juste votre taux de sucre dans le sang qui va monter. Votre taux de culpabilité, aussi. Avez-vous bien fait de vous empiffrer ainsi ? Est-ce bon pour votre santé ? Vos artères sont-elles aussi bouchées que celles de Montréal ? Ça ne manquera pas de penseurs de Rodin sur le siège de toilette.

Au siècle dernier, on allait à la cabane, innocemment, la conscience en paix. C’était un repas santé. Saucisses, bines, jambon, c’est que du bon. C’était la diète des trappeurs. Le sirop d’érable était considéré comme les autres sirops, un médicament tonifiant. Aller à la cabane, c’était comme faire une cure. Revivifiant.

En 2024, notre vision de la cabane à sucre a changé. Dans le terme « cabane à sucre », il y a le mot « sucre », et le sucre est la nouvelle incarnation du mal. Le sucre est le nouveau tabac.

On tient le sucre responsable de la carie dentaire, du diabète de type 2, de l’obésité, des maladies cardiovasculaires, de l’insuffisance rénale, de la fibrose, de la cirrhose, de l’encéphalite, de la maladie de Parkinson, de la maladie d’Alzheimer, du cancer du côlon, du cancer du pancréas, du cancer de l’estomac, du cancer du sein, du vieillissement de la peau, de la perte de la concentration et de la perte d’érections. À part ça, ça va ben. Dire que durant des décennies, la seule chose qu’on reprochait au sucre, c’était d’être mauvais pour les dents. Maintenant, ce sont les autorités qui ont une dent contre le sucre.

Dans pas long, la Santé publique va déclarer la guerre au sucre, et nos visites dans les érablières ne seront plus jamais les mêmes. Il y aura des avertissements partout. Sur le menu, à côté de la mention « oreilles de crisse », il y aura une photo de pancréas de crisse. Les prix seront exorbitants. C’est avec la taxe sur le sucre que le gouvernement va payer le nouveau toit du Stade olympique. Pas celui qui n’est pas bâti encore. Celui qui va remplacer celui qui n’est pas bâti ni écroulé encore.

Les nouvelles règles seront sûrement imposées aux cabanes graduellement. Au début, chaque établissement devra avoir une section non-sucreurs. Puis, en quelques années, à peine, c’est tout l’intérieur qui deviendra non-sucreurs. On aura le droit de manger son sucre d’érable à 9 mètres de la grange.

La dénomination cabane à sucre sera remise en question. Elle deviendra aussi peu invitante que cabane à cigarettes. L’association des propriétaires devra choisir entre cabane à sirop, cabane à pets-de-sœur, cabane à yogourt nature, cabane à tofu, cabane à aspartame… La question risque de soulever bien des débats.

Gens à la dent sucrée – j’en suis –, notre liberté achève. Bientôt, les bonbons se vendront sur le marché noir. Il sera mieux vu de fumer un joint que de fumer des cigarettes Popeye. À l’Halloween, on donnera des légumes, à la Saint-Valentin, on donnera des légumes, à Pâques, on donnera des légumes. On aura le teint plus vert que la Saint-Patrick. L’étape du dessert durant un repas sera annulée, on sautera directement à la tisane.

Vous ai-je enlevé ou donné le goût d’aller à la cabane à sucre ? Donné, je croirais. Il faut s’empresser de retrouver la cabane à sucre pendant qu’elle est encore comme dans le bon vieux temps.

Surtout que de tous les sucres en ce monde, le sirop d’érable est le moins nocif. Même qu’on a appris, la semaine dernière, que le sirop d’érable est bon pour la santé. Il atténuerait les méfaits d’une alimentation riche en gras et en sucre.

Oubliez le scénario catastrophe que je viens de vous tracer, les cabanes à sucre sont peut-être appelées à se multiplier. Ce ne sera plus un commerce saisonnier, on va se gaver de sirop à l’année. Les érables ne pourront pas couler plus souvent, alors il faudra en planter davantage.

Imaginez, si le monde entier remplace le sucre raffiné par notre sirop d’érable. On va se mettre riches. On croyait que l’avenir du Québec passait par les batteries électriques, ben non ! L’avenir du Québec passe par la bonne vieille canne de sirop d’érable ! Un printemps érable, et la dette de 11 milliards est réglée.

C’est ça qui est bon avec la science, y a toujours une étude qui fait plus notre affaire que les autres.

Courez à la cabane à sucre atténuer les méfaits d’une alimentation riche en gras et en sucre. Ça peut sembler étonnant. Est-ce que du sirop sur du bacon atténue le gras tant que ça ? Ça prendrait des cobayes pour le savoir. On sera nombreux à se porter volontaires.

Bonne cabane ! Et soyez moins coupable que votre jambon à l’érable.