Si le gouvernement caquiste s’impatiente face au fédéral au sujet de l’immigration, il se fait plus discret sur la santé. Les mots restent fermes, mais le ton est résigné. Comme s’il savait à l’avance qu’il allait perdre. Ce qui est, d’ailleurs, le scénario habituel.

Pour les transferts en santé, Ottawa offre six fois moins d’argent que ce que le Québec demande. Et ce n’est pas tout. Il menace aussi de s’ingérer dans les compétences des provinces avec ses programmes de soins dentaires et d’assurance maladie.

En résumé : moins d’argent et moins d’autonomie. Et c’est une offre que Québec ne peut pas vraiment refuser. C’est ça ou rien.

Vendredi, François Legault plaidera une fois de plus sa cause lors de sa rencontre avec Justin Trudeau. Mais pourquoi ne pas avoir fait une conférence de presse de plusieurs ministres, comme celles sur l’immigration en février puis en mars ? D’accord, les ministres Christian Dubé, Eric Girard et Jean-François Roberge ont envoyé une lettre à Ottawa. Reste que leur missive n’a pas fait un très gros « boum »…

Après des années d’insouciance budgétaire, le gouvernement Trudeau doit resserrer le contrôle des dépenses. Les conservateurs, en tête dans les sondages, ne promettent pas plus d’argent. Cela alimente le fatalisme de Québec.

Mais il y a une autre raison : la platitude de l’enjeu. Difficile de mobiliser la population ou de gagner des votes avec un sujet aussi technique.

Le gouvernement caquiste assure qu’en coulisses, il reste combatif. Cela n’a toutefois pas changé grand-chose.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, paraissait peu intéressé par la main tendue du solidaire Vincent Marissal, qui voulait renforcer le front commun de l’Assemblée nationale. « On a tellement une belle collaboration avec Québec solidaire que, s’il veut venir avec moi à Ottawa, je l’invite à venir le faire », a raillé le ministre.

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Le premier ministre François Legault et le ministre de la Santé, Christian Dubé

Il y a pourtant urgence, comme le démontre le dernier budget. Les dépenses sont plus grandes que les revenus. Et les dépenses en santé augmentent plus que les autres missions de l’État. Cette trajectoire n’est pas viable. Et sans aide accrue du fédéral, ce sera encore plus pénible.

L’affrontement Québec-Ottawa en santé se joue sur trois fronts : le financement, l’assurance dentaire et l’assurance médicaments.

D’abord, l’argent.

L’année dernière, le fédéral annonçait que la majorité de la hausse promise (54 %) dépendrait d’ententes individuelles négociées avec chaque province. Et non d’un transfert envoyé sans condition.

Les libéraux fédéraux utilisent ainsi les chèques pour imposer leurs priorités. Pourtant, la santé est une compétence provinciale.

Pour en rajouter, le Québec n’a obtenu que 900 millions. Soit six fois moins que ce qui était demandé. Pire, le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, prévient qu’à défaut de conclure une entente d’ici la fin mars, il n’y aura pas de chèque.

Ensuite, il y a l’assurance dentaire.

Le nouveau programme fédéral dédouble en partie celui du Québec, qui rembourse ces soins pour les enfants de moins de 10 ans ainsi que pour les prestataires de l’aide sociale. Même des dentistes peinent à s’y retrouver. Les caquistes veulent obtenir l’argent sans condition. Ils préviennent également que le programme fédéral sera sous-financé.

Enfin, il y a l’assurance médicaments.

Le gouvernement libéral minoritaire a accouché d’un projet de programme pancanadien pour garder l’appui des néo-démocrates. Les points d’interrogation restent nombreux. On ignore par exemple si un coût de franchise sera exigé. Une chose paraît claire : il faudra négocier avec les provinces et elles n’en veulent pas.

Le fédéral est incapable de créer une application comme ArriveCAN ou de gérer la paye de ses fonctionnaires. Comment réussira-t-il à mettre sur pied rapidement ces programmes complexes ?

Cela ne semble pas inquiéter le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland.

Au moins, Jagmeet Singh aide à le faire moins mal paraître. Le chef du NPD s’est surpassé dans les derniers jours. Il a réussi à insulter à peu près tout le monde à l’Assemblée nationale. Selon lui, les partis qui défendent la compétence du Québec « ne pensent pas aux gens ». Il les accuse même de se livrer à des batailles « académiques » sur les compétences, au lieu d’aider les Canadiens.

Reste que M. Singh est une quantité négligeable dans ce dossier. Ce qui importe est M. Trudeau, et l’impasse demeure.

Le PLQ demande à M. Legault de s’inspirer de Jean Charest, qui savait rallier les autres provinces pour faire pression en bloc contre le fédéral. Or, ça ne changerait pas grand-chose en santé. L’histoire n’en finit plus de se répéter : Ottawa fissure le front commun et s’entend avec une province, d’autres suivent et le Québec finit seul dans son coin.

C’est dans cette position que se présentera à nouveau M. Legault vendredi face à Justin Trudeau. Exaspéré. Résigné aussi. Et déterminé malgré tout à arracher une concession quelconque qu’il essaiera de qualifier de victoire.